Comme vous le devinez à son nom, Rafik Boualam n'est pas né à Roberval. Je dis ça et c'est complètement con, on peut très bien s'appeler Boualam et naître n'importe où. La preuve, ses enfants sont nés à Montréal.

Il est né au Maroc, il est arrivé ici il y a 39 ans, quand il  n'y avait qu'un seul vol Casablanca-Montréal par semaine, et encore là, avec escale à New York. J'étais seul dans l'avion pour la partie New York-Montréal, se souvient-il...

M. Boualam m'a envoyé un courriel, hier. C'est une lettre à ses  enfants et cette lettre, ce sera ma chronique, aujourd'hui: il y est question d'identité dans le monde actuel, dans le Québec d'aujourd'hui.

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À Selma,  13 ans et Mehdi 15 ans.

En vous voyant grandir, je me suis toujours posé des questions  sur la manière dont vous alliez construire votre identité ainsi que sur les valeurs que je devais vous inculquer. Moi qui a toujours eu une aversion envers les définitions réductrices liée à l'appartenance ethnique ou religieuse, je devais répondre à vos questionnements  quand, revenus du cours «Éthique et culture religieuse», vous me posiez cette question troublante: «Mais papa, nous sommes quoi nous?»

Parce qu'on vous a enseigné que le monde se divisait en catégories  (musulmans, chrétiens, juifs...), vous aviez senti le besoin, à mon grand désarroi, de vous définir en fonction de ces catégories.

C'est là que j'ai compris que l'école pouvait aussi  saboter  ce que je voulais vous inculquer comme valeurs universelles. Fort heureusement, cet épisode n'a duré que momentanément et vous êtes redevenus tels que vous étiez, de futurs citoyens du monde.

Et que te dire Mehdi, quand tu arrives déstabilisé de l'école,  parce que le chauffeur d'autobus scolaire t'a traité d'enfant de terroristes... 

Comment t'expliquer qu'au fond, ce n'est pas toi la victime,  mais c'est plutôt cet homme en carence de connaissances, d'intelligence et de culture qui est la plus grande victime ?

En passant Mehdi, mon coeur est gonflé d'orgueil devant ta réaction: plutôt que de tomber dans le piège victimaire, tu as pris ta plume, et tu as exprimé, dans la langue de Molière que tu manies assez bien, ton indignation et ta révolte.

Et toi Selma, ta souveraine indifférence face aux pressions incessantes  de te définir en tant que Québécoise ou en tant que Marocaine fait ma joie, continue à être transcendante, c'est comme cela que je t'apprécie.

Et comment vous expliquer que maman, après vous avoir mis au  monde, diplômée, expérimentée, ait eu tellement de difficultés à trouver du travail...

Vous étiez probablement trop jeunes pour vous rappeler le soir  où elle est rentrée à la maison, pleurant, complètement bouleversée. Le conseiller à l'emploi, perspicace qu'il était, lui conseilla tout simplement de changer de nom si elle voulait être facilement embauchée.

Poussant plus loin son sens de la créativité, il lui proposa  de changer son nom de Khadija Boualam, à Katia Boulianne. C'est très proche, «Katia Boulianne», oui, bon, l'identité était peu sacrifiée, et le problème résolu, mais ça change quoi, au fond ?

En passant Khadija, je suis rempli d'admiration devant ta résilience.

Tu as su passer à travers les obstacles et garder le cap.

Et maintenant, Selma et Mehdi, je dois vous avouer ma gêne devant  l'écart entre les valeurs que j'essaye de vous inculquer et l'état dans lequel on vous lègue ce monde. Quelle malédiction nous a frappées pour tomber si bas? Pourquoi tant de violence et de haine? Comment avons-nous abandonné ce qui fait la grandeur de l'humanité?

Et je ne parle pas seulement de ces tragédies sanglantes, dont  le sensationnalisme n'a d'égal que la brièveté des réactions d'atermoiement et de larmes de crocodile...  

Non, je parle aussi et surtout de cette médiocrité rampante qui  gangrène nos institutions, qui s'insinue sournoisement dans nos vies et qui frappe de plein fouet nos politiciens.

Mais je suis obligé de continuer à vous rappeler l'importance  de l'instruction, de la culture, de la connaissance, de l'esprit critique. Lisez. Pas un seul livre, mais plusieurs, nourrissez votre esprit, ne laissez personne vous rabaisser. La médiocrité n'est pas une option. Vous n'êtes ni uniquement des ethniques, ni  des uniquement arabes, ni uniquement des Québécois. Vous êtes tout cela et plus, vous êtes le futur, vous êtes l'espoir, vous êtes le changement.

Papa.

 

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Photo Ninon Pednault, La Presse

Rafik Boualam, sa femme Khadija et leurs enfants, Mehdi et Selma. «Vous n'êtes ni uniquement des ethniques, ni des uniquement Arabes, ni uniquement des Québécois. Vous êtes tout cela et plus, vous êtes le futur, vous êtes l'espoir, vous êtes le changement», écrit M.Boualam à ses adolescents.

ON PEUX-TU JUSTE S'AIMER ?

Dans ma chronique d'hier, j'évoquais le slogan d'une pancarte  qui, lors d'une manif d'appui aux victimes de l'attaque de Québec, avait particulièrement ému le professeur Gérard Bouchard...

Comme le Québec est une tribu, il se trouve que le gars qui a  créé la pancarte s'appelle Antoine Quirion-Couture, un ami de Guillaume Lefrançois l'as-reporter qui couvre le CH pour LaPresse.

Le slogan est encore plus beau en photo..

Photo fournie par Antoine Quirion-Couture

Cette photo prise par Antoine Quirion-Couture lors d'une manifestation d'appui aux victimes de l'attaque de Québec a particulièrement ému l'historien et sociologue Gérard Bouchard.

LE JOURNALISME

Vous avez été une douzaine au moins à m'écrire dans la foulée  de ma chronique d'hier où je lançais l'idée que les médias devraient cesser de jouer le jeu des perdants qui commettent des tueries de masse, en diffusant leurs photos, en les nommant...

Une douzaine à me dire: et publier la photo de la maison des  grands-parents du type, à Drummondville, comme La Presse l'a fait, c'est ok? 

Ce n'est pas ok et ça a échappé à l'attention des boss, qui s'en  sont excusés. Je relaie ici les excuses. 

Un mot, aussi, sur le «peu» d'attention apportée par les médias  aux victimes, dans les heures qui ont suivi la lâche attaque haineuse. C'est sans doute vrai, mais j'aimerais souligner une chose : quand les médias veulent des infos sur les victimes de tragédies semblables, c'est bien souvent le pire moment de la vie de  leurs proches... 

Et souvent, la dernière chose dont ces gens ont envie, c'est  de parler à un journaliste. Et c'est compréhensible.