J'ai dû relire le paragraphe deux fois pour m'assurer que je m'étais bien levé du lit, que j'avais bel et bien pris ma douche et mangé mon gruau équitable, bref, j'ai relu le paragraphe une seconde fois pour m'assurer que je ne rêvais pas.

C'était vers la fin du texte de Philippe Teisceira-Lessard sur la décision de la Couronne de ne pas accuser Franklin Junior Frontal, dont l'assachien de type pitbull a tué Christiane Vadnais à Pointe-aux-Trembles.

« C'est une situation abominable pour lui [M. Frontal] aussi. Il a perdu aussi son compagnon », a dit Me Audrey Amzallag hier, avant de reconnaître du même souffle que « c'est certain que ce n'est pas la même chose » que pour les proches de Christiane Vadnais. « On comprend tous que le chien, ça fait aussi partie de la famille. C'est certain que ce n'était pas quelque chose de facile non plus, il a vu son chien mort. »

Abominable...

Pas facile...

Partie de la famille...

Là, j'ai rempli un seau d'eau - vous savez que l'eau du robinet est très froide ces jours-ci - et je me suis mis la tête dedans pendant un bon 15, 20 secondes, juste pour m'assurer que je n'étais pas dans un rêve où j'essayais de m'assurer que je ne rêvais pas.

J'ai relu les mots de l'avocate Audrey Amzallag...

« C'est certain que ce n'était pas quelque chose de facile non plus, il a vu son chien mort... »

Le chien - un pitbull du nom de Lucifer - qui a tué Mme Vadnais a été tué par la police.

Quiconque possède deux cennes de jugement et d'empathie se fiche complètement du chien et se fiche encore plus de ce que le maître du chien a dû ressentir dans cette « terrible » - prenez le ton le plus sarcastique possible pour lire le mot terrible - épreuve.

Est-il allé déposer des fleurs sur la tombe de son chien ?

A-t-il dû suivre une thérapie pour affronter la vie sans Lucifer ?

A-t-il la photo de Lucifer sur sa table de chevet ?

On s'en sacre.

On s'en sacre parce qu'une femme est morte, parce que le drame sans nom qui frappe les Vadnais depuis le 8 juin dernier vient d'être couvert d'une couche de vernis de tristesse supplémentaire avec cette décision de la Couronne de ne pas porter d'accusation.

Note de service pour Me Amzallag : il paraît que les coeurs sont en solde chez Walmart pour les Fêtes, vous devriez penser à aller vous en acheter un. Pour le jugement, désolé, c'est back order...

Je tance l'avocate du « papa » de l'assachien de Pointe-aux-Trembles, mais les sottises sorties de sa bouche et destinées à un vaste public ne sont en fait que l'écho d'un certain discours complètement surréaliste qui veut que le chien soit l'égal des humains, de gens qui prennent au pied de la lettre la phrase « mon chien fait partie de la famille »...

Je vous dis ça et j'ai en tête le courriel d'un lecteur, en octobre dernier, appelons-le Fernand. Syndiqué dans un organisme fédéral, Fernand s'est retrouvé au comité de négo où il avait dû débattre d'une idée surréaliste : « Une charmante déléguée, dit-il, a fait la proposition d'inclure les chiens dans la définition des membres de la famille... »

En quoi cela a-t-il un lien avec une négo de convention collective ?

C'est que ces employés peuvent prendre jusqu'à cinq jours de congé par année pour s'occuper d'un proche malade. Suivant la logique selon laquelle un animal domestique fait partie de la famille, une camarade voulait que le comité de négo demande à l'employeur d'accepter que des employés puissent prendre ces congés pour aller chez le vétérinaire...

« Le plus rigolo de la situation n'est pas dans la proposition comme telle, dixit Fernand, mais bien dans le débat émotif qui s'en est suivi. Cette proposition a été défaite, de peu. »

De peu, j'insiste...

Mais je m'égare. À Brossard, pour une enfant gravement blessée par un pitbull en 2015, la Couronne a déposé des accusations contre Karim Jean-Gilles et sa mère, Hyacinth Parker. À Pointe-aux-Trembles, pour une femme tuée par un autre pitbull, pas d'accusations.

Si j'étais un proche de Mme Vadnais, je hurlerais, bien sûr.

Comme citoyen, je crois à la bonne foi des flics et des procureurs de la Couronne, je me dis qu'ils n'ont pas d'humour dans le cas d'une femme tuée par le chien d'un tata et que si Franklin Junior Frontal n'a pas été accusé, c'est parce qu'il aurait été improbable de le faire condamner. Soit...

Je veux juste dire que j'espère que la loi provinciale que concocte Martin Coiteux pour encadrer les chiens dangereux aura des dents et qu'elle protégera vraiment les humains. Qu'elle donnera de vrais recours à ceux qui sont voisins de cabochons qui ne contrôlent pas leurs chiens : le « gentil » Lucifer de M. Frontal avait mordu, et il avait mordu deux fois, avant de tuer Mme Vadnais.

Et rien n'a été fait. Et là, on le voit, même quand ça tue, ces bêtes, il n'y a parfois rien qu'on puisse faire...

Oui, j'espère que cette loi sera efficace. Sinon, on ne souhaite pas ça, mais il ne faudra pas s'étonner que certains citoyens - qui croient que les humains passent avant les chiens - préparent des boules de viande hachée pimentée avec de la mort-aux-rats.