C'est la nouvelle de la semaine, c'est la nouvelle du mois, c'est la nouvelle de l'année. Peut-être même la nouvelle de la décennie : Donald Trump a été élu 45e président des États-Unis d'Amérique, mesdames et messieurs.

J'ai écrit récemment que ce n'était pas si surprenant, qu'il fallait un peu connaître les Américains pour comprendre l'attrait du plus bozo des candidats à la présidence depuis...

Depuis qui, au fait ?

Je sais que la défaite de Hillary Clinton transcende la personne de l'ex-secrétaire d'État et ex-première dame des États-Unis. Je sais que la défaite de la démocrate est vécue comme la défaite de millions d'autres femmes, comme un rejet des femmes qui veulent accéder aux postes de commande. Et il n'existe pas de poste plus symbolique que celui de POTUS et de commandant(e) en chef des forces armées de nos voisins du Sud.

Hier, j'échangeais des textos avec une amie, je lui ai demandé en changeant de sujet : « Sinon, comment tu vas ? » Elle : « Déprimée. » Moi : « Why ? » Elle : « Trump. »

Je ressens votre douleur, mes soeurs...

Le fameux plafond de verre n'a pas été pulvérisé, Mme Clinton est allée plus loin qu'aucune autre femme n'était allée dans une présidentielle américaine. Cela aurait bien sûr eu valeur de symbole que le pays le plus puissant de l'histoire de l'humanité soit dirigé par une femme. Le plus triste, c'est que Mme Clinton a une solide expérience du service public, qu'elle est incollable sur le fin détail des politiques publiques, que sa maîtrise des affaires internationales est incontestable. Elle aurait fait, j'en suis sûr, une bonne présidente. Elle partait en tout cas avec une expérience du pouvoir politique que Donald Trump n'a pas...

Bref, la défaite de Mme Clinton, mardi, est vue comme une gifle aux femmes et au féminisme. C'est d'ailleurs le terme utilisé par Noémi Mercier, de L'actualité, dans son texte « Hillary et moi », publié à chaud, au lendemain de la déroute : « La candidate démocrate a reçu une gifle brutale. Depuis, écrit Noémi, j'ai la joue qui brûle... »

C'est sûr qu'il y a de cela, de la haine des femmes, grande ou petite, je veux dire. Des millions d'Américains ont voté en faisant un choix final influencé par des millions de variables. L'idée d'une femme présidente a bien dû rebuter des hordes d'Américains.

Mais...

Et je mets mes gants blancs, ici, tout en marchant sur des oeufs, parce que je ne veux pas avoir l'air d'en remettre une couche.

Mais je ne suis pas convaincu que la misogynie d'une partie de l'électorat explique à elle seule la défaite de Mme Clinton. Des gens qui avaient voté Obama en 2012 n'ont pas voté Clinton en 2016. Pour le manque d'ouverture, l'explication est peut-être un peu courte : l'Ohio, le Wisconsin et le Michigan avaient voté pour un Noir en 2012 et en 2008.

Et, surtout, Mme Clinton n'a pas fait le plein de votes de... femmes. Chez les femmes blanches, elle est allée chercher des majorités de votes féminins chez celles qui ont des diplômes universitaires et chez les milléniaux. Après, dans les autres strates démographiques décortiquées par les sondeurs, Mme Clinton a peiné.

Chez les femmes blanches ne possédant pas de diplôme universitaire, Trump a récolté 62 % des voix, contre 34 % pour Mme Clinton. Traduction : celles-ci ont préféré le type qui dénigre l'apparence des femmes et qui se vante d'agripper les femmes par leur sexe plutôt que de voter pour une femme.

Dans le vote féminin en général, Mme Clinton a devancé le républicain, c'est vrai. Mais elle a fait moins bien qu'Obama en 2012 (54 % contre 55 %).

On peut dire qu'il y a quelques Yvette dans le lot de celles qui ont voté Trump plutôt que Clinton. On peut. Mais on ne peut pas dire que toutes ces femmes qui ont choisi de voter Trump sont des sottes, c'est statistiquement impossible.

Ma thèse sur le crash inattendu de Hillary Clinton tient en deux volets.

Un, les Américains sont lassés de la marque Clinton. Voici un couple qui est arrivé sur la scène politique il y a un quart de siècle. Les vrais et les faux scandales entourant Hillary et Bill depuis des années ont fini par avoir un effet sur la psyché nationale. Il y a des Américains qui n'aiment pas les Clinton de la même façon que vous n'aimez pas Trump. La distance nous cache cette inimitié.

Deux, Mme Clinton a une formidable propension à échapper le ballon, en campagne. Elle l'a échappé devant un Barack Obama sans grande expérience en 2008. Elle a failli l'échapper contre Bernie Sanders en 2016, malgré une avance gigantesque contre l'excentrique sénateur socialiste du Vermont. Pourquoi ? Aucune idée. Mais en trois courses - contre Obama, Sanders et Trump -, elle n'a jamais pu s'imposer avec force dans le coeur et dans la tête des électeurs.

Mes soeurs, je sens votre douleur, disais-je, et je comprends que l'élection d'une femme à la Maison-Blanche aurait représenté un baume symbolique pour un milliard de grandes et petites ignominies qui vous ont été faites. Je crois simplement que les Américains n'ont pas rejeté l'idée d'une femme à la présidence : ils ont rejeté l'idée que Hillary Clinton soit présidente.