Place Saint-Marc, l'été dernier, à Venise. Oui, il y a les touristes, mais comment s'en plaindre quand t'es toi-même touriste ? Bref, même si c'est la même foule qui fait des tours de calèche dans tous les Vieux-Montréal du monde, l'endroit est glorieux avec ce campanile de près de 100 mètres qui surplombe les touristes et les pigeons.

L'Italie, même quand c'est touristico-touristique, ça reste l'Italie...

Tu peux donc prendre une table à la terrasse d'un des cafés qui ceinturent la place Saint-Marc et réfléchir à la marche triomphale du monde en sirotant un espresso. En plus, il y a des orchestres pour ajouter à l'ambiance, musiciens classiques en tenue de soirée, pingouins-musiciens certes, mais c'est l'Italie, et l'élégance naturelle distingue les Italiens de la faune qu'on retrouve au Carrefour Laval le samedi matin.

Mais...

Mais cet orchestre de musiciens classiques hautement entraînés, à grands coups de violon et de contrebasse, ils jouaient du Céline Dion. Je vous jure ! La version instrumentale de My Heart Will Go On. Là, n'allez pas penser que j'ai une dent contre Céline, au contraire, au contraire, je suis comme vous tous le plus grand fan de Céline Dion, je suis catastrophé de n'avoir pu assister à un de ses 45 spectacles québécois cet été, mais je me suis rattrapé en chantant l'intégrale de Unison dans ma douche, tous les matins de la semaine du 8 août...

Non, je me dis juste qu'un orchestre italien hautement entraîné aurait pu jouer ça, de la musique italienne.

Les touristes dont j'étais n'auraient évidemment pas reconnu les airs des tubes de la Marie Mai locale, du Charlebois de Venise, de l'Ariane Moffatt ritale...

Mais bordel, c'est l'Italie, c'est le voyage, c'est le dépaysement, la trame sonore peut-elle être locale, et pas celle de l'ascenseur, entre le 3e et le 11e, dans ta tour de bureau, un matin de novembre ?

À Florence - j'aurais dû m'écouter et ne pas y retourner, mais il s'agit là d'une autre histoire que je vous raconterai peut-être un jour, dans la même chronique où je vous dirai pourquoi je ne retournerai pas à Percé -, même affaire dans les piazzas : encore des classiques éculés qu'on entend sur toutes les Rock Matante du monde, de la « musique venue de nulle part, mais qui s'exporte partout », pour reprendre la jolie formule d'un vieux portrait du groupe montréalais Simple Plan dans L'actualité...

(Rassurez-vous, j'ai vu autre chose de l'Italie que les villes qui ornent les pages couvertures de Lonely Planet. Malheureusement, je ne vous dirai pas où : je n'ai pas envie de vous y croiser quand j'y retournerai.)

Je fais un détour par l'Italie pour vous parler d'uniformisation culturelle. Je vous écris cette chronique dans un Starbucks de Bellingham, dans l'État de Washington (longue histoire). Et je le constate en regardant dehors : je pourrais aussi bien être à Trois-Rivières ou à Markham, c'est le même urbaniste qui conçoit désormais tous les centres-villes de cités de taille moyenne du monde occidental. Cette uniformisation plane partout : je suis allé hier dans une épicerie, j'ai trouvé les mêmes tomates que partout ailleurs - rondes, parfaites, à peine fendues, mais à peine fendues aux mêmes endroits que les tomates de mon Metro local.

Je fais un détour pour vous dire qu'on nous sert partout le même Pablum pour vous parler du Casino de Montréal, qui en est ces jours-ci à construire un nouveau restaurant, qui remplace le Nuance, son restaurant primé.

Pas que je connaisse le Nuance ni le Casino, je ne suis allé au Casino qu'une seule fois sans être forcé d'y aller pour le travail, c'était en 1996, et je me souviens avec effroi du regard des gens attachés aux machines à sous : Walking Dead avant Walking Dead.

Mais le Casino de Montréal existe encore, et il attire son lot de touristes, d'ici et d'ailleurs...

Un resto est donc en construction dans le Casino, fruit d'un partenariat avec Joël Robuchon, célébrissime chef français, légende culinaire respectée par des chefs de tous horizons, le chef le plus étoilé au monde (28, de Michelin). Et, en même temps, une marque, un « brand », comme on dit à Lyon, un brand mondial : Robuchon prête son nom et son savoir-faire dans une douzaine de villes du monde, principalement en Asie...

Le Casino aura son Atelier Robuchon, écho de l'Atelier convivial du chef Robuchon à Paris, où l'essentiel de l'expérience a lieu au comptoir : ici, 56 places au comptoir et 20 aux tables. Culinairement, c'est extraordinaire pour Montréal, m'a dit le chef exécutif du Casino de Montréal, Jean-Pierre Curtat : « Mon image : c'est le curé qui reçoit le pape ! »

J'ai soumis à M. Curtat ce qui est un secret de polichinelle dans les cuisines des restaurants de Montréal : ce n'est vraiment pas tout le monde qui partage son enthousiasme sur la venue du pape Robuchon au Casino de Montréal. Lesley Chesterman s'en offusquait dans The Gazette, il y a un an.

J'insiste, je répète : « au Casino ».

Ce qui irrite, dans les cuisines de Montréal, c'est que c'est une pile d'argent public qui va servir de piédestal à un chef qui en a déjà des dizaines...

Depuis 10, 15 ans, Montréal s'est mis sur la mappe pour autre chose que ses festivals, ses bars de danseuses, le Grand Prix de F1 et le Canadien : ses restaurants. Il s'est passé ici une révolution, remarquée et saluée partout : des foutus bons restaurants sont apparus. Anthony Bourdain, le gastro-bourlingueur télévisuel américain, est par exemple en pâmoison devant le Toqué !, le Joe Beef et le Pied de cochon, pour ne nommer que ceux-là. Il y en a d'autres, formidables eux aussi.

Dans les cuisines de Montréal, personne ne remet en question le talent de Joël Robuchon ni sa place dans le firmament de la gastronomie. Ce qui irrite, c'est que Loto-Québec ait choisi de célébrer un chef international plutôt qu'un chef local, dans un contexte où la gastronomie montréalaise est en pleine ébullition. Cette vitrine, ils l'auraient voulue pour un des leurs...

Loto-Québec n'a pas voulu me dire si M. Robuchon paie une partie des coûts liés à la construction et à la gestion de l'Atelier, au Casino de Montréal. Parfait...

Mais je vais me risquer à avancer une chose, et Loto-Québec me contredira si elle le désire : je suis sûr que si M. Robuchon paie, ce ne sont que quelques centimes.

M. Robuchon n'a pas besoin de Montréal pour faire briller son étoile. Le Casino estime que ça fera briller la sienne. Pas besoin d'être Warren Buffett pour voir qui a besoin de qui, dans ce deal...

Donc, la visibilité de cet espace au Casino, elle ira à un chef qui n'en a pas besoin. Une large part des profits, on l'imagine, s'en iront à l'étranger. Alors qu'on a des chefs et des restos extraordinaires ici...

En fouillant pour cette chronique, j'ai entendu le mot « colonisé », pour qualifier le partenariat Casino-Robuchon. C'est peut-être un peu fort.

Mais c'est très certainement comme faire jouer du Céline Dion au coeur de Venise ou de Florence : tout pour ne pas dépeigner le touriste, du Pablum gastronomique stellaire, mais du Pablum quand même.

Entre-temps, je suis heureux de vous signaler qu'au Starbucks de Bellingham, WA, la boîte qui abrite le papier-cul est identique à celles de tous les Starbucks de Montréal.

Je me sens tellement chez moi.

PITBULLS

Oui, je sais que Découverte consacrait hier un long reportage aux pitbulls. Non, je ne l'ai pas vu : comme je vous disais plus haut, je suis loin de Montréal et professionnellement enchaîné à autre chose. Mais depuis trois jours, les amis des pitbulls m'écrivaient, me narguaient à cause de ce que j'ai écrit sur ces chiens, au printemps : « Pis, allez-vous regarder Découverte ? »

Ils sont sûrs que Découverte va réhabiliter le pitbull...

On verra. J'écrirai là-dessus dans les prochains jours, promis. En attendant, j'ai lu comme vous les articles que Radio-Canada a publiés en marge du reportage et...

Et je vais attendre de voir le reportage !