Est-ce qu'il faut interdire le burkini ?

C'est la question qui m'attendait sur le babillard du local de l'Amicale des chroniqueurs et chroniqueuses et chroniqueurs de genre indéfini du Québec (ACCCGIQ), à mon retour de vacances.

Le quoi ?, ai-je demandé à Rita, la secrétaire, en montrant le babillard du doigt.

Le BUR-KI-NI, a-t-elle dit, un peu trop fort pour la situation, insistant sur chaque syllabe (et en me regardant comme si j'étais un merlan frit).

J'ai grommelé quelque chose, je me suis dit que ce Burkini est peut-être un personnage de Pokémon GO - phénomène qui a percé la bulle de mes vacances -, j'ai prétexté un parcomètre à remplir et je me suis éclipsé du local, soudainement inquiet...

« Siri, qu'est-ce que le burkini ?, ai-je chuchoté dans mon iPhone dès que j'ai mis le pied hors du local de l'ACCCGIQ.

Pause, tension, silence, suspense.

- Voici le résultat de ma recherche sur le web pour Burkina... a finalement répondu Siri, facétieuse.

- Niaise-moi pas, Siri, ai-je répliqué.

- OK, OK », a fait Siri, avant de me diriger vers un tas de liens touchant le burkini...

Donc, le burkini est un néologisme issu des mots « burqa » et « bikini », c'est un vêtement qui couvre tout le corps et que portent certaines musulmanes particulièrement pratiquantes pour... se baigner. À la plage ou à la piscine.

Ainsi couvertes, elles peuvent donc se rafraîchir tout en préservant leur pudeur, selon l'interprétation du livre saint écrit il y a plusieurs siècles et qu'elles utilisent comme mode d'emploi pour la vie au XXIe siècle.

Vous dire mon étonnement !

Se baigner tout habillé, bon, comment dire...

Je n'ai pas une vaste expérience de la chose, mais les quelques fois où je me suis fait balancer tout habillé dans une piscine, c'était sacrément inconfortable. Et là, j'apprends que des femmes le font volontairement ?

Bon, une recherche plus poussée dans Google m'a permis d'apprendre que des juridictions en France ont interdit le burkini au cours des dernières semaines, au nom des valeurs fondamentales de la République qui sont - je le rappelle - la liberté, l'égalité et le monokini.

Des plages publiques sont donc désormais interdites aux femmes qui voudraient mouiller leur burkini.

Des politiciens d'importance là-bas ont des positions tranchées sur le burkini, dont j'ignorais tout avant de partir en vacances, fin juin...

J'ai donc appelé des contacts qui ont suivi l'actualité cet été et j'ai appris que le burkini est comme le moustique porteur du Zika : il voyage vite. Si vite que la Coalition avenir Québec a fait du burkini son nouveau cheval de bataille identitaire, exigeant qu'au nom de nos valeurs à nous, le burkini soit aussi interdit au Québec. Pitbulls, burkinis : dans le même bain, si j'ose dire...

J'ai été étonné, je l'avoue : j'ai tellement entendu souvent François Legault dire que Philippe Couillard est déconnecté du réel ! Et là...

Mais bon, il faut ce qu'il faut pour attirer à la CAQ l'électeur péquiste qui s'inquiète - comme Janette Bertrand - de l'islamisation du Québec par cette tête de pont que sont les piscines et plages du terroir. Mais la CAQ devra ferrailler : Jean-François Lisée veut le retenir, cet électeur-là...

Une recherche encore plus poussée m'a permis d'apprendre que les chroniqueurs Durocher et Martineau, au Journal de Montréal, voient dans le burkini une autre preuve de ce qu'ils prophétisent depuis tant d'années, c'est-à-dire L'ISLAMISATION DU QUÉBEC, islamisation que leurs compatriotes s'entêtent à ne pas voir, bien sûr, aveuglés qu'ils sont par les abdos de Justin Trudeau...

(On me rapporte par ailleurs que Richard Martineau a affirmé récemment que le jeu Pokémon GO serait une arme efficace contre les islamistes... Je refuse d'y croire. Ce sont assurément des ragots de peureux qui, contrairement à l'animateur de CHOI Radio X, n'osent que trop rarement les majuscules. Non, je me dis que Martineau ne peut pas avoir manqué de sujets à ce point-là cet été.)

Pour ou contre le burkini, alors ?

Euh, comment dire...

J'ai déjà écrit que ma conception de la liberté inclut la liberté de religion, mais que demander à des femmes de lever leur niqab le temps de la cérémonie d'assermentation de citoyenneté canadienne est parfaitement raisonnable.

Interdire les signes religieux ostentatoires aux officiers incarnant l'autorité de l'État ? J'en étais et je le suis encore : l'État ne devrait pas favoriser une religion. Et un flic qui porte un kirpan, une juge qui porte un voile, un procureur de la Couronne qui flashe son crucifix, c'est envoyer un message contraire à la neutralité de l'État.

Mais sur la neutralité religieuse des plages et des piscines, eh bien, là, eh bien... Je suis juste consterné de revenir à Hérouxville au retour de mes vacances estivales. Quelqu'un a appelé André Drouin pour lui demander ce qu'il pense du burkini ?

Comprenez-moi bien : je trouve ridicules les gens qui croient que le Coran, la Bible, la Torah ou les livres de Ron L. Hubbard sont des modes d'emploi pour la vie au XXIe siècle. Je trouve ridicule de se baigner habillée en burkini.

Mais la différence entre les califats réels ou imaginaires ; la différence entre l'Arabie saoudite, Raqqa et le monde libre dont le Québec fait partie, c'est justement que les citoyens, ici, sont... libres. Libres, aussi, de s'habiller comme ils l'entendent. Et les musulmanes devraient être libres de s'habiller comme elles l'entendent dans leurs activités aquatiques, sous réserve de règles d'hygiène imposées par les autorités compétentes.

Mais une loi ? Sérieux ?

Encore une fois, dans ce débat, me semble-t-il, on fait la guéguerre aux musulmans en général et à leur foi plutôt qu'aux islamistes en particulier qui prônent (et enrôlent dans) l'extrémisme : nous sommes dans le carpet bombing plutôt que dans les frappes ciblées.

Ah ! oui, je sais, je sais : le burkini, comme le voile, comme le niqab, comme la burqa, est un signe d'asservissement des femmes et il faudrait interdire ces vêtements au nom de la libération des musulmanes...

Permettez un détour, une petite anecdote sur l'asservissement religieux.

J'ai croisé cet été une jeune femme qui a grandi chez les Témoins de Jéhovah. Née dans le Royaume, à l'ombre de la Tour de garde. À l'âge adulte, paf !, elle a renié sa religion, elle a quitté son mari et elle a rencontré un athée avec qui elle s'est mise en concubinage.

Sa famille l'a donc reniée. Père, mère, fratrie, même les anciens amis : elle n'a plus de contacts avec eux. Une pestiférée, pour eux.

Elle s'ennuie de sa famille, bien sûr. C'est déchirant. Mais c'est le prix de sa liberté.

Fin du détour, pour vous dire : si une musulmane québécoise est asservie par sa religion, si elle n'aime pas ça, porter un burkini - je la comprends ! -, elle peut s'en affranchir.

Et si, ici, malgré les outils d'une société libre, elle choisit de ne pas le faire, désolé, qu'elle vive dans son inconfort, mouillé ou pas.

LA BIOLOGIE EST TÊTUE

Retour sur ma chronique de samedi, dans laquelle je faisais écho à la science qui explique les oublis, pour expliquer pourquoi tout le monde - oui, oui, tout le monde - peut oublier son enfant dans son auto, en plein été. Et le condamner accidentellement à la mort par hyperthermie.

Plusieurs lecteurs m'ont signalé ne pas comprendre qu'un gadget n'ait pas encore été inventé pour éviter ces tragédies (37 par année aux États-Unis, aucune statistique pour le Canada). L'article du Washington Post que je citais explique qu'un tel gadget existe, mais qu'il n'a pas été commercialisé, pour deux raisons.

Un, l'attitude de type Ça-ne-pourrait-jamais-m'arriver-à-moi grignote grandement le bassin de parents qui pourraient acheter un tel gadget aux États-Unis.

Deux, le potentiel de commercialisation dudit gadget est plombé par la peur de poursuites en dommages et intérêts, advenant que le gadget ne fonctionne pas au moment opportun.

Samedi, j'expliquais aussi la science derrière les oublis, qu'ils mènent à la mort d'un enfant ou pas. Les mécanismes du cerveau sont complexes, mais implacables : les ganglions de la base, pilote automatique de notre mémoire, prennent le dessus sur le cerveau conscient quand nous sommes stressés, fatigués ou distraits. Comme le cerveau de tout le monde est construit de la même façon, la conclusion est terrible : tout le monde peut oublier son enfant dans l'auto.

Ça n'a pas empêché plusieurs lecteurs de m'écrire pour me dire que, non, ils ne gobent pas ça, non, ça ne pourrait pas leur arriver, à eux...

Tout le monde a évidemment droit à son opinion, mais je veux juste signaler que nos opinions n'affectent en rien la primauté des ganglions de la base sur l'hippocampe : la biologie fait dire qu'elle n'écoute pas les tribunes téléphoniques et qu'elle n'a pas de page Facebook. Que voulez-vous, la biologie, cette vieille grébiche, est têtue.

PITBULLS

Je sais, je sais. Je n'ai rien dit sur les pitbulls. Ça viendra.