Nous étions en retard. Nous avions raté le début du film, l'assaut du vaisseau diplomatique de Leia par les troupes de Vader. Mon plus vieux souvenir d'un film est donc cet écran du ciné-parc Laval montrant R2D2 et C-3PO marchant dans le sable de Tatoïne, au début du plus célèbre des films de science-fiction...

C'était en 1977.

C'était il y a quasiment... 40 ans.

À 20 ans, si on m'avait raconté des faits vieux de 40 ans, on aurait évoqué 1952, aussi bien dire le paléolithique. Le jeune lecteur est pardonné d'avance de me considérer comme un dinosaure qui parle justement d'un phénomène en voie de disparition: l'époque où on regardait des films assis dans nos chars (ou dans le coffre du char)...

Les fossiles du ciné-parc Laval sont toujours là, il me semble, visibles de l'autoroute 15, à votre gauche si vous roulez vers le nord, peut-être une minute après l'autoroute 440. Les écrans trônent toujours dans le champ, inutilisés depuis longtemps, attendant sans doute d'être démontés pour faire place à un autre quartier bien pourvu en cabanes à moineaux, pardon, en édifices à condos. Ou un quartier chinois. Pas de farces, j'ai bien lu cela : un quartier chinois au coeur de Laval.

Pourquoi les gens allaient-ils au ciné-parc?

Après tout, le son était pourri, assuré par des bidules en métal qu'on accrochait au rebord de sa vitre abaissée. À travers le pare-brise, à moins d'être parfaitement stationné, il y avait toujours des bouts de l'écran qui échappaient à notre champ de vision.

Mais c'était un endroit de rassemblement, de congrégation. Une activité pas trop chère, non plus, en tout cas moins chère que le cinéma (surtout si vous cachiez une ou deux personnes dans le coffre de l'auto). 

Avant le film, et parfois pendant, les enfants allaient jouer au ballon ou à la balle entre les autos. Le ciné-parc était une petite fiesta de banlieue.

Je me souviens des immenses files d'attente (capacité du ciné-parc Laval: 1886 places, ai-je lu sur un site «spécialisé») avant d'accéder aux quatre aires de films, devant lesquelles trônaient ces écrans (vraiment) géants.

Je me souviens du rose du ciel quand le soleil tombait, du vrombissement de la 15, de la nuit qui approchait et de l'atmosphère festive qui présidait aux dernières minutes avant le début du premier film (il y en avait deux, le second étant toujours plus poche que le premier)...

Je me souviens même de l'affiche CINÉ-PARC LAVAL (fond blanc, lettres rouges), au coin de Dagenais et de Labelle, indiquant le lieu mythique, vers l'est.

Mais à part ce premier Star Wars, en 1977, je n'ai bizarrement aucun souvenir d'un film vu au ciné-parc Laval. Il faut dire que le ciné-parc était le pire endroit au monde pour regarder un film, c'est pour cela qu'on y projetait surtout des films de monstres, des comédies faciles à comprendre même sans le son et des films d'action à forte teneur en explosions...

L'action n'était pas que sur les écrans, par ailleurs. Et je ne parle pas des ti-culs qui jouaient au baseball entre les autos.

Je parle de ce qui se passait dans certaines voitures.

Pour le jeune lecteur évoqué plus haut, je vais être direct: il y a beaucoup de gens qui allaient au ciné-parc pour explorer autre chose que le cinéma contemporain, beaucoup de gens qui allaient au cinéma pour faire - oui, oui - des guiliguilis.

En effet, selon une célèbre étude de l'Université du Nebraska oriental, mais dont j'ai perdu la référence, il fut jadis évalué que 2,4 % des Nord-Américains nés entre 1963 et 1980 avaient été conçus dans un ciné-parc*. Le ciné-parc a aussi contribué à nombre de pertes de virginité, chez les Nord-Américains: c'était parfois le seul endroit où se trouver seul(e) avec l'être aimé(e), chez les adolescents en âge de conduire. Et même quelques adultes.

Une de mes premières blondes (allô, Isa) travaillait au ciné-parc Laval et une de ses tâches, à la fin de la soirée, était d'aller cogner aux portes des voitures qui étaient encore stationnées, longtemps après que le parc se fut vidé. Les vitres des voitures étaient bien souvent embuées et les occupants n'étaient pas toujours endormis...

Les ciné-parcs ont quasiment disparu (il en reste une poignée dans la région de Montréal), les salles de cinéma disparaîtront. Mais il y a quand même quelque chose de fascinant dans la constance de nos réflexes et de nos envies: nous regardons encore du contenu sur des écrans, mais sur de petits écrans individuels. Des films, des séries.

Les ciné-parcs vont disparaître, les salles de cinéma disparaîtront sans doute, mais les endroits de communion persistent, je parle de ces endroits où on parle de tout et de rien, comme ces films qu'on vient de voir... Mais ces endroits sont de plus en plus virtuels: Facebook, Twitter, Instagram, etc.

Le besoin de voir les mêmes choses que le voisin, le besoin de lui en parler, lui, demeure. Il y a des choses qui ne changent pas, qui ne meurent pas.

* Je le confesse: j'ai inventé cette étude et cette statistique dans un dérapage hyperbolique que le lecteur, je l'espère, me pardonnera avec sa bonté habituelle.