Queer ?

Hein ? Kessé ça ?

Oh-que-c'est-rendu-compliqué, Oh-qu'on-est-tannés-de-ces-coming-out-de-gens-connus, Oh-que-c'était-simple-dans-le-temps...

J'avoue que même après avoir fait des recherches, je ne pourrais probablement pas donner une définition exacte du mot queer si ma vie en dépendait. Disons que c'est une attirance envers des gens, pas envers des gens d'un sexe en particulier ? OK.

Bref, la chanteuse Béatrice Martin, alias Coeur de pirate, a fait son coming out queer, comme d'autres font leur coming out homosexuel.

Plusieurs personnes ont accueilli la nouvelle avec un haussement d'épaules. Permettez une petite note discordante, émise par un homme hétérosexuel qui a grandi à l'époque où l'homosexualité était encore un tabou, à l'époque où les jokes de tapettes ne faisaient pas lever le sourcil collectif, reflet d'une époque où la tolérance était récente...

Quand une personnalité publique fait un coming out, je ne vois désormais plus la personne en question. Je vois les jeunes anonymes qui ne sont pas des personnalités publiques et qui ne savent pas trop comment gérer ça, cette « différence », dans le sous-sol de leurs parents, dans le fond de l'autobus qui les mène vers l'école, derrière le petit écran de leur téléphone...

Qu'importe leur différence. Gai. Transgenre. Lesbienne. Queer. Différent, dans un monde qui te pousse toujours vers la norme, et pas juste quant aux identités et aux orientations sexuelles : c'est comme grimper l'Everest en gougounes, un peu...

Je dis que l'époque a changé, et c'est vrai, elle a changé. Pour le mieux. Les militants LGBT qui ont 30 ans roulent les yeux quand ils entendent cela. C'est parce qu'ils entendent « C'est pas si pire que ça », alors que ce n'est pas ce que je dis, ce que je dis, c'est juste ça : les choses évoluent. Lentement, bien sûr. Pas assez vite, bien entendu.

L'homophobie, par exemple, existe-t-elle encore ? Oui. Mais l'époque s'est adoucie, là-dessus, il y a des comportements, des blagues, des propos qui ne passent plus. Des ressacs difficiles à ignorer contre les tentations moyenâgeuses. Voyez le ressac vécu par la Caroline du Nord, qui veut sanctionner la différence LGBT. On est loin des jokes de tapettes que faisait l'attaché de presse de Ronald Reagan quand des journalistes lui posaient des questions sur la progression du sida...

L'époque a changé, l'époque est plus « ouverte », plus « tolérante ». Mais la première frontière à laquelle se bute une personne quand elle constate sa différence, c'est bien souvent la sienne, celle qui est dans sa tête, dans son coeur. Même si l'époque est plus ouverte, ça peut salement tourmenter un jeune de se savoir différent, même si nous sommes en 2016.

Juste pour l'homosexualité, même de nos jours, même pour un adulte, le coming out peut être difficile. J'ai jadis connu un type brillant, créatif, d'une belle confiance en soi, qui n'arrivait pas à mettre le pied de l'autre côté de cette frontière... On parle d'un homme habitant Montréal au XXIe siècle, évoluant dans une profession libérale où l'homosexualité n'est ni une surprise ni un scandale...

Mais c'était un tourment intime qu'il vivait, entre lui et lui-même. Sa famille ? Sa famille l'appuyait, à 100 %. Pourtant, il n'arrivait pas à le dire, à se le dire...

Aujourd'hui, c'est fait, c'est dit, c'est su, c'est vécu. Il m'a l'air heureux, mais ce fut dur, même s'il n'a pas grandi dans l'Arkansas des années 50. Juste pour dire que ces différences sont parfois des déchirements intimes, avant d'être des manchettes de journaux et des confessions sur Facebook.

On peut ne pas aimer le timing de Coeur de pirate (juste après Orlando). On peut ne pas triper sur ses dévoilements intimes sur les médias sociaux, encore que c'est commodément oublier que l'intimité sur Instagram n'est que ça, de la mise en scène, une partie de l'intimité qui n'a rien à voir avec la véritable intimité...

Mais ce que Coeur de pirate a fait, ce coming out, c'est utile, c'est utile pour des milliers de ti-culs qui vivent cette différence dans l'anonymat le plus obscur, une boule au ventre. Coeur de pirate leur a dit, l'autre jour, à eux, à elles : c'est correct d'être différent, il y a plein de monde différent...

Quand on est dans la norme, ça peut irriter, ça peut ne sembler être rien. C'est immense, pourtant, pour les différents.

SAUF QUE... -

Hier, dans le Journal de Montréal, une jeune personne ne se dit ni homme ni femme, elle est « non binaire ».

OK. Cool. Je peux concevoir ça.

Je cite la réponse de la personne, à savoir comment elle réagit quand, dans la vie de tous les jours, on l'interpelle en lui donnant du « Monsieur » ou du « Madame »...

« Quand ça arrive, ça me fait mal. »

Je signale que « Monsieur » et « Madame », c'est d'une neutralité de type chips ordinaires, ce n'est pas connoté comme peuvent l'être nègre, sauvage, grosse, etc.

Mais quand la réceptionniste chez le dentiste lui dit : « Madame, c'est votre tour », cette jeune personne a - je cite - « mal ».

L'intolérance est un grand mal de l'époque, une bêtise qu'il faut toujours combattre.

Les gens qui ont mal pour rien, qui sont offensés pour des broutilles : c'est un petit mal dont il faut rire un peu, quand même. Bref, jeune personne du Journal de Montréal, vous m'avez bien fait rire.

Rire, verbe qui rime, vous l'aurez remarqué, avec s'endurcir. Je dis ça comme ça.

CUBA, BIS -

Hier, j'ai chroniqué sur un traitement supposément miraculeux à Cuba, pour les gens atteints de rétinite pigmentaire.

Plein de réactions, divisées en deux groupes.

Un :  « Monsieur Lagacé, vous avez oublié de dire que les médecins ophtalmologistes sont parmi les mieux payés au Québec... »

Réponse : c'est vrai, mais je ne voulais pas entrer là-dedans. Un mardi matin, à 11 h 27, je crois que c'est davantage le caractère chaîne de montage de notre système de santé de brousse qui préside à l'inhumanité d'une annonce de diagnostic de cécité sans gants blancs, de façon expéditive que le paiement à l'acte. Il se peut que je sois naïf.

Ce défilement de patients comme sur un convoyeur de chaîne de montage, on dira que c'est le système qui veut cela, sweat shop de la santé made in Québec...

M'en fous.

Le système est censé aplanir les bêtises des personnes qui en composent les rouages. Pas les exacerber.

Deux :  « Monsieur Lagacé, est-ce que ça marche, le traitement cubain ? »

Réponse : ça dépend ce que vous entendez par le verbe « marcher ».

Des gens disent que cela a marché pour eux.

Effet placebo ? Mauvais diagnostic initial de rétinite ? Véritable miracle ?

On ne sait pas. On est dans l'anecdote. Mais ce n'est justement pas ça, la science. Ce n'est pas : « Voici un cas miraculeux ! » Il faut que la démarche soit ouverte et que les résultats puissent être reproduits ailleurs, dans les mêmes conditions.

François Thibert, cité dans la chronique d'hier, dit que sa vue s'est stabilisée. Tant mieux pour lui, et tant mieux si ça dure. Mais scientifiquement, ça ne demeure qu'une anecdote. Il faut voir si cela va durer.

C'est un cas, mais pour déterminer si le traitement marche, il faut comparer des gens qui ont eu le traitement avec des gens qui ne l'ont pas eu (groupe de contrôle), notamment...

Ces études ont été faites à quelques reprises. Résultat : elles démontent le traitement cubain. L'une d'elles (Copello et al, en 2003) montre qu'après quelques mois d'amélioration, la vue des patients s'est remise à décliner...

L'Institut Nazareth et Louis-Braille a fait une « veille informationnelle » de la procédure cubaine, une sorte de résumé de ce que la science a publié là-dessus. C'est un excellent état des lieux, qui ne donne que peu de place à l'espoir pour les gens atteints de rétinite pigmentaire.

J'ai l'air brutal en vous balançant ces constats scientifiques brutaux. Pourtant, je vous jure, à la place de ces patients, j'achèterais probablement moi aussi un billet pour Cuba...

C'est ça, l'espoir. Je veux dire qu'il est prouvé que l'espoir n'est pas soluble dans les faits, bien au contraire.