Les ardents défenseurs des pitbulls s'accrochent probablement à l'espoir que Christiane Vadnais, cette pauvre femme trouvée morte dans sa cour, mercredi soir à Pointe-aux-Trembles, n'a pas été tuée par le gentil pitbull de son voisin.

OK, en toute justice, il faut le dire : on ne savait toujours pas, hier, si ce pitbull avait bel et bien tué cette femme. L'autopsie pourra l'établir, ou pas. Mais j'aimerais attirer votre attention sur un léger détail, si vous le permettez...

Ce gentil pitbull de Pointe-aux-Trembles, sans doute une bête charmante qui n'avait jamais montré le moindre signe d'agressivité - la ritournelle habituelle des amis des pitbulls -, il a toujours bien fallu que les agents de police lui tirent dessus pour pouvoir approcher le corps de Mme Vadnais !

Pensez à ça, une seconde. Il existe des chiens qui ne peuvent être calmés qu'avec la balle de fusil tirée par un policier. Ce fut le cas du charmant toutou de Pointe-aux-Trembles.

C'est arrivé le 30 mars dernier à Scarborough, en banlieue de Toronto : un garçon de 8 ans a été attaqué par un pitbull. Quand la police est arrivée, la mâchoire du pitbull était sur la gorge de l'enfant et refusait de lâcher prise. La police a tiré. Quand je pense aux blessures physiques et psychiques de cet enfant, je n'ai même pas honte de dire ceci : j'espère que ce putain de chien n'est pas mort sur le coup, j'espère qu'il a souffert.

En 2014 à Toronto, un pitbull refusait de lâcher un autre chien, un shih tzu. Le policier appelé sur les lieux a commencé par frapper le pitbull avec son bâton télescopique. Rien à faire. Il a tiré deux balles dans les pattes du chien. Rien à faire. L'agent a dû abattre le pitbull d'une balle dans la tête pour stopper le carnage(1).

Question : Au nom de quel principe le Québec niaise-t-il avec la rondelle législative à propos du contrôle d'un chien qui nécessite parfois TROIS balles d'un fusil de policier pour lâcher prise ?

***

Jeudi, commentant le drame de Pointe-aux-Trembles, le ministre des Affaires municipales et de la Sécurité publique, Martin Coiteux, a montré son manque d'empathie habituel en déclarant que Québec pouvait bien songer à une « réflexion » sur les pitbulls, il revenait quand même aux villes de pondre des règlements anti-pitbulls.

On le savait grand adepte du laisser-faire économique, alors sachons-le désormais : Coiteux est aussi adepte du laisser-tuer canin. S'il veut s'injecter un peu d'empathie, j'invite le ministre à lire les propos des proches de Mme Vadnais, dans le texte de Vincent Larouche : ce ne sont pas des chiffres, il sera loin de sa zone de confort, mais disons que c'est d'une tristesse infinie. Votre laxisme, Monsieur le Ministre, crée les conditions pour d'autres drames semblables.

Le premier ministre a fini par contredire Martin Coiteux en cours de journée, annonçant qu'un comité allait être créé avec les villes pour étudier la question de la réglementation des pitbulls. Ça ne me réjouit qu'à moitié.

D'abord, voyons le côté positif des choses : enfin, quelqu'un a allumé dans ce gouvernement, après des déclarations lénifiantes et divorcées du réel des ministres Pierre Paradis (Agriculture) et Martin Coiteux. Tant mieux si c'est le PM qui évoque la possibilité d'un cadre provincial, qui parle du modèle ontarien d'interdiction des pitbulls et de la réglementation zélée des spécimens toujours vivants.

Mais j'ai quand même un peu peur, parce qu'un comité, c'est bien souvent un mot plus poli pour « tablette ». Et surtout parce que ça implique les villes. Or, les villes n'ont pas à porter le fardeau de combattre le lobby des animaux en général et des pitbulls en particulier, avec une poigne différente selon la grosseur des couilles des élus des 1100 municipalités du Québec.

Lobby et chantage ?

Voyez un peu : cette chère SPCA fait par exemple du chantage auprès des municipalités qui osent penser adopter ou qui adoptent des règlements anti-pitbulls. Outremont s'est fait faire le coup : la SPCA a cessé de fournir des services de fourrière à cette ville quand elle a adopté un tel règlement. Le Plateau s'est fait menacer du même boycott et a choisi de ne pas adopter le règlement : cela aurait laissé l'arrondissement à la merci du Berger blanc, impliqué il y a quelques années dans un scandale de maltraitance.

C'est du chantage pur et simple que fait la SPCA en mettant les chiens sur le même pied que les humains.

Avec une loi provinciale qui protégera de la même façon tous les Québécois nonobstant la ville qu'ils habitent, la SPCA ne pourra plus faire ce chantage. Sa seule option sera de plier bagage et de quitter le Québec.

Quand le ministre Paradis a accouché d'une loi protégeant de diverses façons les animaux, il n'a jamais jonglé avec l'idée de laisser-les-municipalités-adopter-leurs-propres-règlements en pareille matière. Un chiot, c'est un chiot : qu'il soit à Matane, Lévis ou Laval, il a le droit à la même protection de base. Alors, Monsieur Paradis, si une loi provinciale est bonne pour protéger les chiots, pourquoi une loi pouvant protéger des chiens tueurs les humains de Matane, Lévis ou Laval est-elle de la science-fiction ? Les chiens avant les humains ?

M. Paradis a avalé le Kool-Aid des vétérinaires québécois qui ont témoigné en commission parlementaire : ceux-ci disent que depuis l'interdiction des pitbulls en Ontario, les morsures de chiens ont augmenté... C'est vrai, mais c'est également trompeur : le nombre de morsures graves a baissé depuis l'interdiction des pitbulls. Une morsure de Labrador ou de caniche ne fait pas autant de dégâts qu'une morsure de pitbull.

***

Peu d'élèves sont allergiques aux noix, mais ceux qui le sont risquent la mort s'ils ont le malheur d'être en contact avec une noix. Pour cette raison, au nom d'un principe de précaution bien élémentaire, les barres tendres aux amandes et autres tartines au beurre d'arachides sont désormais interdites dans les écoles, garderies et autres camps de jour.

Quand un constructeur d'automobiles rapporte des pépins mécaniques récurrents, c'est bien souvent suffisant pour que l'État lui impose un rappel de véhicules aux fins de réparations, à ses frais : encore là, un principe de précaution est appliqué pour protéger la vie humaine.

Certains médicaments, certains aliments et l'alcool en général font l'objet de sévères mises en garde aux femmes enceintes : leur consommation pourrait causer des dommages neurologiques et physiques chez l'enfant à naître. Ce n'est pas certain : c'est possible. Personne ne milite pour qu'on ignore ces recommandations.

Le principe de précaution guide beaucoup de règles, de lois et de conventions dans la société. On met la protection de la vie humaine au-delà de certaines considérations et tracasseries, même quand le risque est minime. Ça fait une société plus sécuritaire, moins de morts stupides et évitables.

En cela, les pitbulls sont un affront au principe même de précaution. Pensez-y : cette année, à Montréal, 20 enfants seront défigurés par des chiens. Pas juste des pitbulls, c'est vrai. D'autres chiens revendiquent des morsures catastrophiques. Et c'est pourquoi Québec devrait interdire d'autres races de molosses tueurs et dévastateurs, pas juste les pitbulls. La Catalogne le fait, l'Irlande aussi.

Je l'ai dit, je vais le redire...

Les humains avant les chiens.

(1) Depuis la loi provinciale ontarienne interdisant l'élevage des pitbulls, les seuls bêtes qui restent sont celles acquises avant 2005... Et les bêtes élevées illégalement.