En lisant la surréaliste entrevue de Gaétan Barrette au magazine L'actualité, ça m'a frappé comme une tonne de brique. Gaétan Barrette, c'est un peu notre Donald Trump à nous.

Que fait le candidat à la présidence Donald Trump quand il est contredit, quand on le talonne ? Il attaque le messager. Sur Twitter, en entrevue, en débat : il prend systématiquement pour cible celui qui soulève le moindre bémol quant à ses idées, à ses déclarations, à ses méthodes.

Untel est « dégueulasse », une autre est « nulle », un autre encore est « ignorant » : Trump carbure à l'insulte, un véritable lapin Energizer de la vacherie.

C'est une méthode géniale, apparemment : pendant que ses insultes deviennent virales, pendant qu'elles créent des manchettes et font vivre des centaines de panels de discussion sur les chaînes câblées, on ne parle pas de ses politiques, de ses idées. Juste de ses sautes d'humeur.

On peut rire des Américains, railler la culture politique qui a permis à ce démagogue de fédérer dans son sillage tout ce que les États-Unis comptent de réactionnaires frustrés qui rêvent d'une époque (fantasmée) où les good ol' US of A triomphaient toujours, en tout, partout. Et il est vrai que Trump est une excroissance particulière d'une culture politique bien particulière. Mais Trump n'a pas d'équivalent dans la vie politique américaine récente : ce qu'il dit, ce qu'il tolère et ce qu'il fait, tout cela aurait torpillé des candidats républicains en 2012, en 2008, en 2004, en 2000, en 1996...

Trump est la nouvelle normalité, en 2016. Qu'il triomphe ou non le 8 novembre, Trump a créé une nouvelle normalité dans le discours politique : il est maintenant normal et toléré de tenir un discours toxique qui carbure à l'insulte.

On peut donc rire des Américains. Mais nous, nous avons Gaétan Barrette, ministre de la Santé.

Quand on regarde ses méthodes de près, l'ex-caquiste devenu libéral est une sorte de mini-Trump du Nord, un être tout aussi mal engueulé qui multiplie les attaques contre les messagers d'une façon qui n'a pas d'équivalent dans la vie politique québécoise des deux dernières décennies.

Il faut regarder du côté des « belles » années de la radio-poubelle de Québec pour trouver quelqu'un qui, dans la vie publique, y a insufflé autant de fiel et d'insultes. D'ailleurs, il faudra bien un jour appeler le style de jeu du ministre Barrette par son nom : de la politique-poubelle.

Voici un homme qui insulte et méprise tous ceux qui osent émettre le moindre bémol face à ses réformes, face à son style, face à ses déclarations.

Il a insulté Claude Castonguay, quand le père de l'assurance maladie a critiqué l'odieuse « prime Bolduc » - 215 000 $ versés à Yves Bolduc en tant que médecin, quand celui-ci était en politique active -, en invitant le vénérable libéral de 85 ans à « prendre sa retraite ».

Quand d'ex-cadres du réseau de la santé ont osé souligner une évidence, soit que le ministre est en train d'éliminer les instances qui peuvent analyser objectivement ses réformes, il n'a pas répondu sur le fond, qualifiant leur sortie de « politique ».

À répétition, il a traité sa critique péquiste Diane Lamarre de tous les noms, incluant « ignorante » et « épileptique », en plus de l'accuser de s'être indûment enrichie quand elle était présidente de l'Ordre des pharmaciens.

On pourrait penser que de ces controverses, le ministre aurait appris à doser un peu le mépris quand il ouvre la bouche...

Mais quand je lis l'entrevue menée par Jonathan Trudel dans L'actualité, la réponse est simple : non, pas du tout, chaque critique est encore accueillie avec une attaque méprisante contre le messager qui la formule.

Exemple : Jonathan Trudel souligne les objections d'un médecin, le Dr Simon-Pierre Landry, président du Regroupement des médecins omnipraticiens pour une médecine engagée, à une de ses réformes, une critique de fond sur les médecins affectés aux urgences, critique citée par le journaliste.

Réflexe pavlovien du ministre : il attaque aussitôt le Dr Landry en ressassant une futile chicane sur un titre utilisé par le médecin en signant un texte dans une revue spécialisée. Le ministre - encore - ne répond pas à l'objection de fond.

Jonathan Trudel est informé, il a fait ses devoirs, on voit qu'il a parlé à plusieurs personnes dans le réseau de la santé. Il « challenge » donc l'élu comme un journaliste doit le faire.

Que fait Gaétan Trump ?

Il sort les menaces, comme tout bon bully : « Écoutez, on va régler ça tout de suite. Ou vous me laissez vous répondre, ou on arrête l'entrevue. Si vous les avez, vos opinions, écrivez-les. »

Le mépris frondeur de Gaétan Barrette dans L'actualité rappelle celui qu'il avait affiché dans le journal Le Droit, en Outaouais, en mars. Pris en défaut dans une affaire de listes d'attente touchant les femmes en attente de tests Pap - le ministre avait prétendu que toutes les régions du Québec avaient le même problème, alors que, vérification faite, c'est faux : l'Outaouais a un problème particulier, avec des attentes allant jusqu'à six mois -, Barrette avait mordu le journaliste...

Je le cite : « Je vais vous dire une affaire, vous êtes pas mal spéciaux en Outaouais. Vous posez une question sur les tests Pap et je vous réponds sur l'ensemble de ce secteur d'activité et ça ne fait pas votre affaire. Vous voulez me faire un procès, faites-le. Lynchez-moi, ça ne me dérange absolument pas. Si vous ne comprenez pas ma réponse, que voulez-vous que je vous dise ? Je vous ai donné plus d'informations que vous en demandiez. J'ai mis la problématique en perspective et ça ne fait pas votre affaire. »

En Outaouais, on a donc un ministre qui a soit menti, soit parlé à travers son chapeau. S'amende-t-il ? Allons donc, quelle question stupide ! Non, il attaque - encore - le messager.

Est-ce que les réformes du ministre fonctionnent ? La réponse simple, c'est qu'on ne le sait pas encore. Seul le temps le dira. Gaétan Barrette aura beau mépriser tous ceux qui osent le contredire, il aura beau essayer d'arranger le réel comme l'ancien lobbyiste qu'il est, ça ne changera rien : seul le temps dira si ses réformes ont fonctionné.

Ma crainte, personnellement, c'est que la politique-poubelle pratiquée par Barrette, faite d'insultes et d'invectives, ne crée une nouvelle normalité en politique québécoise.

Évidemment, M. Barrette n'est pas Trump. On sait que les cheveux du ministre de la Santé sont les siens. Le discours raciste de Trump n'est pas le sien. Mais le ministre incarne une toxicité nouvelle dans notre sphère politique, comme le candidat Trump l'incarne dans la sienne.

Au fond, Gaétan Barrette est dans la position des animateurs de radio-poubelle : il dit ce qu'il dit parce que ses boss tolèrent ce qu'il dit. Et il n'est pas rappelé à l'ordre par son patron.

Et le boss de la « station », ici, s'appelle Philippe Couillard.