Ce soir, les ambitions présidentielles de Bernie Sanders vont probablement s'effriter dans le super mardi, ce mur de la réalité électorale américaine qui brise les ambitions présidentielles.

Le sénateur du Vermont, excentrique comme l'État qu'il représente, est un ovni en politique américaine tant il se réclame d'une gauche décomplexée. Il serait pourtant quelque chose comme un social-démocrate en Europe. Mais aux États-Unis, il est régulièrement dépeint comme un radical...

Sanders n'accepte aucune contribution financière des lobbies représentant les intérêts des entreprises. L'influence de l'argent sur le processus politique est pour lui un grand danger démocratique.

Il s'insurge contre les inégalités grandissantes dans la société américaine, où la majorité de la création de richesses se retrouve dans le portefeuille des plus riches d'entre les plus riches.

Il pense que travailler 40 heures par semaine devrait être suffisant pour ne pas être pauvre et promet de pousser le salaire minimum fédéral vers la barre des 15 $ l'heure d'ici 2020.

Il pense qu'un congé parental payé, c'est une marque de civilisation.

Sanders croit aussi que s'endetter trop lourdement pour aller à l'université est un handicap tant pour l'individu que pour la société.

Il n'accepte pas d'argent des « Super PACs », ces comités politiques qui permettent d'amasser des millions en dons. La campagne de Sanders dépend de petits dons individuels, principalement : le don moyen fait au « radical » du Vermont est de 34 $.

Pour ce genre d'idées, Bernie Sanders est dépeint sans rire comme un radical. Tom Friedman, columnist du New York Times, a dit de Sanders que les idées qu'il défend sont mortes en 1989 (quand le mur de Berlin est tombé, et avec lui le bloc soviétique communiste). Bref, c'est en 1989 que la justice sociale est morte, si vous vous le demandiez...

L'adversaire de Sanders dans la course à l'investiture démocrate est Hillary Clinton, ex-première dame des États-Unis, ex-sénatrice de l'État de New York, ex-secrétaire d'État. Personne ne dit jamais de Mme Clinton qu'elle est radicale, elle est pourtant radicalement en faveur du statu quo, radicalement en faveur des riches et des intérêts des entreprises, elle est radicalement en faveur de n'importe quelle position qui aidera à son élection. Et si vous n'aimez pas une de ses idées, attendez un peu, elle va la renier en faveur d'une autre idée, comme pour le mariage gai... qu'elle a longtemps combattu, avant de dire qu'elle avait toujours été en faveur du mariage gai.

Dans ses discours publics, Mme Clinton se pose en championne du monde ordinaire, une incorruptible qui va mettre Wall Street et la financiarisation de l'économie au pas. Mais en 2014 et dans le premier trimestre de 2015, elle a engrangé plus de 11 millions US (1) pour faire des discours aux grandes banques de Wall Street et à d'autres intérêts d'entreprises. Je répète : 11 millions. Je n'inclus pas les discours payés à son célèbre mari par les mêmes intérêts financiers.

Qu'a-t-elle dit en privé aux banquiers, dans ces discours qui n'ont pas été diffusés ? On ne le sait pas. Et elle ne veut pas le dire. Enfin, ce n'est pas tout à fait exact : Mme Clinton dit qu'elle va dévoiler le compte rendu de ces discours quand ses adversaires républicains feront de même... Ce qui est une autre façon de dire « jamais ».

Il y a quelque chose de radical à faire avaler aux gens que tu prends des chèques énormes des riches pour des discours de quelques minutes, que ta campagne prend aussi des chèques des riches, mais qu'une fois au pouvoir, tu vas soudainement te mettre à corriger un système radicalement biaisé pour les riches.

Qu'importe, c'est Mme Clinton qui va gagner ce super mardi où une douzaine d'États votent pour leur candidat favori, tant chez les républicains que chez les démocrates.

Et de l'autre bord, Donald Trump va aussi triompher chez les républicains, ce qui mettra la table pour un face à face Trump-Clinton en novembre.

Dans les deux scénarios - Mr. President Trump, Mrs. President Clinton -, les perspectives sont déprimantes. Pas juste pour les Américains, mais aussi pour nous tous, l'Amérique ayant une telle influence sur le reste du monde...

D'un bord, une femme dont chaque partie du corps - la tête, les mains, les bras, les genoux, les pieds, les orteils et même la bouche - est attachée à un fil qui mène à une main, la main de Wall Street. Bonjour, Business as usual.

De l'autre, un homme qui veut expulser 11 millions de personnes, qui cherche ouvertement noise aux musulmans, qui promet de commettre des crimes de guerre et qui ne renie pas l'appui de néonazis américains. Celui-là n'est pas guidé par la main de Wall Street, mais pensez à cela : il aurait le doigt sur le piton rouge relié à la triade nucléaire américaine. Bonjour, l'apocalypse.

Ça promet.