L'humoriste Mike Ward pratique un humour qu'il décrit lui-même comme « trash », qu'on peut traduire comme un humour de caniveaux. Au Québec, Ward est le maître du genre, dans la palette assez vaste de l'humour.

Ça peut être très drôle, l'humour trash, ça dépend des goûts. Une des fois où j'ai le plus ri au cinéma, c'était en regardant le documentaire The Aristocrats, l'histoire d'une blague d'un mauvais goût absolu, racontée par plusieurs humoristes américains, dont certains qui sont au-dessus de tout soupçon...

L'humour de Ward peut être très drôle aussi, j'avoue que j'ai bien ri quand je suis allé voir son spectacle, il y a quelques années. Même - et surtout - quand il a ri de moi, m'imaginant en séance d'onanisme devant le miroir, entiché de moi-même.

Mais voici que Ward est dans le collimateur de la Commission des droits de la personne du Québec, rien de moins.

La Commission a porté plainte contre Ward au nom de celui qu'on appelait jadis « le petit Jérémy » : Jérémy Gabriel est maintenant grand et il va en découdre avec Ward au palais de justice dès ce matin.

Dans sa tournée Mike Ward s'eXpose, l'humoriste avait un segment sur « le petit Jérémy », dont l'histoire a ému le Québec en 2006 quand il a chanté devant le pape Benoit XVI : atteint d'un syndrome qui lui cause des difformités, qui touche son audition, Jérémy Gabriel était un bien improbable chanteur pour le Vatican.

Disant qu'il le défendait, au début de son parcours musical et médiatique, devant les quolibets, « c'est un enfant mourant, laisse-le vivre son rêve », tout en notant que Jérémy chante mal, il fausse...

« Cinq ans plus tard, dit-il, y est pas encore mort ! Il meurt pas, le petit tabarnak ! Moi, je le défendais, comme un cave. Et lui, y meurt pas. Moi, je te défends : toi, tu crèves, câlisse. Asti de sans-coeur ! Y est pas tuable. Je l'ai vu aux glissades d'eau à Bromont, l'été dernier, j'ai essayé de le noyer. Pas capable ! Pas capable. Je suis allé voir sur internet, pour voir c'est quoi, sa maladie. Sais-tu c'est quoi qu'il a ? Y est lette, esti ! »

Au Soleil de Québec, qui a sorti l'histoire de cette poursuite, un membre de la famille de Jérémy Gabriel a déclaré que Ward a aussi fait des capsules sur le web où il passait Jérémy dans le tordeur. Cela lui aurait valu des messages « blessants », de la part d'internautes particulièrement pas subtils. La plainte date de 2012.

Mardi, la Commission des droits de la personne ne voulait pas dire quel(s) article(s) de la Charte québécoise des droits de la personne elle allait invoquer dans sa plainte contre Mike Ward, au nom de Jérémy Gabriel. Difficile d'évaluer où la Commission s'en va.

Ce qui détonne, c'est que la Commission des droits de la personne décide d'accepter une plainte visant quelqu'un qui vit de sa prise de parole. J'ai beau chercher, je n'ai pas trouvé de cas passés où la Commission a tenté d'obtenir une condamnation contre un humoriste, un journaliste ou un auteur, par exemple.

Généralement, c'est à la Cour du Québec, dans un recours civil qu'on lance soi-même, que ces cas de diffamation s'exercent.

Quand des personnalités québécoises ont jugé avoir subi un acharnement de la part de certains animateurs de radio, c'est ainsi que les choses se sont réglées. Pas en passant par la Commission des droits de la personne.

Je ne suis pas en train de cautionner ce qu'a dit Mike Ward au sujet d'un enfant handicapé. Au contraire, dans une entrevue aux Francs-tireurs en 2012, j'ai pu dire à Mike Ward que de ridiculiser un enfant handicapé, notamment en raillant son apparence physique, est parfaitement dégueulasse. L'entrevue peut être vue à la fin de ce texte.

Non, ce qui est inquiétant, c'est le recours à une Commission des droits de la personne pour agir comme police de la rectitude et pour sanctionner le libre exercice de la prise de parole par un fou du roi, ce que Mike Ward est. Au Canada anglais, des commissions des droits de la personne ont été ainsi utilisées par des groupes et individus pour essayer de sanctionner des caricatures et des chroniques journalistiques. La chose a été dénoncée comme un détournement du mandat de ces commissions. Depuis, des mesures ont été prises pour empêcher ce genre de détournement.

Dans cette affaire, mon coeur est avec Jérémy Gabriel : ça ne me rentre pas dans la tête qu'on puisse utiliser le handicap d'un enfant pour faire rire une partie de la province. Mais utiliser la Commission des droits de la personne pour sanctionner l'hyperbole, l'exagération à des fins comiques et la liberté d'expression, je trouve ça parfaitement inquiétant.

Il n'y a pas de « belle » cause de liberté d'expression, on se retrouve toujours à défendre le droit de dire des horreurs. Mais s'il faut juger des mérites et du poids de paroles décoiffantes, je préfère encore que ça se fasse là où ça se fait d'habitude, et ce n'est pas à la Commission des droits de la personne.

Mike Ward aux Francs-tireurs, janvier 2012, la discussion porte sur Jérémy Gabriel à partir de 16:15 

Photo tirée de Facebook

Jérémy Gabriel