C'est une histoire fantastique. En mars 2013, le boxeur Curtis Woodhouse a perdu son titre de champion britannique des super-légers, aux points. Deux jours plus tard, celui qui le niaisait sur Twitter depuis des mois en a remis: «Tu es une disgrâce», lui a asséné

@jimmyob88. Et: «Et un gaspillage de spermatozoïdes.»

Woodhouse a alors demandé à ses nombreux contacts Twitter de l'aider à retrouver la personne se cachant derrière @jimmyob88, promettant même une récompense de 1000 livres sterling (près de 2000$CAN) pour toute information menant à l'adresse - réelle - de Jim...

(Insérez ici dans votre esprit la fameuse photo de Jack Nicholson défonçant à coups de hache la porte de la pièce où sa femme est réfugiée, dans The Shining.)

... Les indices ont été nombreux et ont grandement aidé le boxeur dans sa chasse à l'homme.

Woodhouse n'a pas eu à cogner à chaque porte de la rue Mount View Road, à Sheffield, pour trouver son troll: James O'Brien, alias

@jimmyob88, a jeté l'éponge sur Twitter, avouant ses fautes et s'en excusant. Le boxeur a lâché le morceau, fort d'un K.-O. numérique.

Comme quoi les frontières entre le réel et le virtuel ne sont pas un rideau de fer. Parfois, elles peuvent être défoncées, le cas de ce boxeur qui a perdu patience étant un exemple spectaculaire et, disons-le, un peu réjouissant pour quiconque ayant déjà eu à se frotter à un troll.

Avec Facebook, avec Twitter, avec toutes ces plateformes et tous ces outils qui nous servent de porte-voix, de facilitateurs et d'amplificateurs, le XXIe siècle a imbriqué nos vies réelles dans le virtuel - et vice-versa - à un point tel qu'on ne peut plus simplement dire que ce qui se passe sur internet n'«existe» pas, qu'il ne faut pas se faire du mouron avec nos vies virtuelles.

Parlez-en à ces jeunes qui vivent un harcèlement réel qui se prolonge dans le virtuel. Parlez-en à Amanda Todd, qui l'a vécu il y a quelques années en Colombie-Britannique... En fait, non, vous ne pouvez pas lui en parler: elle a fini par se suicider en 2012.

Parlez-en à ces activistes comme Anita Sarkeesian, qui dénoncent la culture machiste et violente envers les femmes dans l'univers du jeu vidéo: elles ont été soumises à un torrent de commentaires violents, jusqu'à des menaces de viol - la menace de viol n'est jamais loin, quand une femme prend la parole sur internet - au plus fort de ce qu'on a appelé #GamerGate, l'an dernier. Twitter, plateforme de choix pour la prolifération de ces menaces, fut hyper lent à réagir.

Twitter sait qu'il y a un problème de bullying virtuel sur sa populaire plateforme. Le PDG l'a reconnu dans une note interne en janvier, avouant l'échec de la société à juguler le fiel des imbéciles qui s'amusent à y empoisonner la vie des autres. Et avant-hier, l'avocate en chef de Twitter a poussé la réflexion plus loin dans le Washington Post, promettant de peaufiner les moyens de filtrer les psychopathes du clavier.

Un jour, en jetant un oeil dans le rétroviseur, le Far West numérique qui prévaut présentement sur les inter-webs nous semblera aussi débile que les époques où les médecins recommandaient à leurs patients de fumer.

Le hic, c'est qu'à part aller à la police, les recours pour faire sanctionner un usager sont restreints. Un cas absurde, parmi mille: l'auteure et chroniqueuse québécoise Geneviève Pettersen a reçu un message épouvantable d'un type manifestement intoxiqué à la misogynie ordinaire. Geneviève a fait une capture d'écran du message et elle l'a affiché sur le mur de sa page Facebook.

La suite?

Le compte a été suspendu, pour avoir contrevenu aux règles d'utilisation de Facebook... Je parle du compte de Geneviève Pettersen! Pas celui du misogyne. Un peu comme si un robot traitait les plaintes, chez Facebook. Ce qui est probablement le cas.

Dans un avenir pas si lointain, je prédis qu'il y aura un mécanisme permettant de découvrir l'identité réelle de trolls qui, cachés derrière leur clavier, empoisonnent la vie numérique et réelle des gens. Je prédis aussi que ce mécanisme naîtra d'une poursuite intentée contre les Facebook et Twitter de ce monde, pour négligence. Ça va discipliner les imbéciles.

Après avoir traqué le troll O'Brien chez lui, le boxeur Woodhouse a découvert une fonction fantastique de Twitter, celle du blocage. Vous cliquez sur BLOCK et un usager disparaît pour ainsi dire de votre champ de vision virtuel. Vous ne voyez plus ce qu'il dit, il ne peut plus vous suivre.

Personnellement, un peu comme on élaguerait la mauvaise herbe du jardin, je bloque des gens sur Twitter. J'ai dû bloquer, ces dernières années, des centaines d'usagers, selon un processus aussi arbitraire qu'expéditif. Les importuns ont tendance à l'être tout le temps, ce qui fait qu'à la longue, tout ce travail d'élagage au quotidien porte ses fruits: j'ai dû bloquer au moins la moitié des trolls du Québec et mon expérience Twitter s'en trouve grandement améliorée.

Seul hic: un usager que j'ai bloqué s'est adressé au Conseil de presse pour se plaindre. Un journaliste, selon ce Monsieur, n'a pas le droit de bloquer quelqu'un sur Twitter.

Je vous entends rire. Riez, riez...

Par charité chrétienne, je ne vais pas nommer ce perdant, mais sachez que je ne ris pas: le Conseil de presse du Québec a accueilli sa plainte et la traite avec les mêmes égards que si j'avais commis un plagiat. Pas de farces. Probablement que le secrétaire général du CPQ est aussi modérateur chez Facebook dans ses temps libres.