Le maire de Saguenay Jean Tremblay a déjà expliqué son entêtement à imposer la prière avant le conseil municipal en ces termes: «Ce combat-là, je le fais parce que j'adore le Christ, je vais aller au ciel et c'est le plus noble combat de toute ma vie.»

J'espère pour M. Tremblay que Jésus juge ses ouailles aux moyens et non aux résultats, parce que la justice des hommes a décrété, mercredi, qu'en récitant une prière dans leurs fonctions, Jean Tremblay et ses apô..., euh, ses conseillers violaient la neutralité religieuse de l'État.

Quand on lit la décision de la Cour suprême, on devine une sévère fessée administrée au maire et à la Ville de Saguenay. Dans la décision, unanime, les juges font des arguments du maire Tremblay et de sa ville ce que Jésus a fait des comptoirs des vendeurs du temple...

C'est aussi une taloche à la Cour d'appel du Québec, maintes fois contredite sur le fond et dans la forme: la Cour suprême dit essentiellement que la décision originale du Tribunal des droits de la personne du Québec - qui avait donné raison à Alain Simoneau et au Mouvement laïque québécois - était fondée quand elle a décrété que par sa prière, la Ville de Saguenay favorisait une religion au détriment d'autres, bafouant la neutralité de l'État.

La Ville affirmait que de toute façon, la prière récitée avant le conseil municipal n'était pas religieuse. Mais la Cour suprême n'a pas été dupe: «Les déclarations publiques du maire sont révélatrices de la fonction véritable de la pratique du conseil», observe le tribunal, avant de citer Jean Tremblay qui, imaginant une jasette avec Jésus, lui dit: Je me suis battu pour vous, je suis même allé en procès pour vous.

Suivent alors les mots qui crucifient, si j'ose dire, le mariage entre l'État et la religion qui était célébré par M. Tremblay.

«Ces commentaires confirment que la récitation de la prière aux séances du conseil constitue avant tout une utilisation des pouvoirs publics par le conseil dans le but de manifester et de professer une religion à l'exclusion des autres. La prière représente bien plus que la simple expression d'une tradition culturelle. Il s'agit d'une pratique par laquelle l'État professe activement et en toute connaissance de cause une foi théiste.

«Ce que défendent les intimés n'est pas une tradition, mais plutôt le droit de la municipalité de manifester sa propre foi. À preuve, devant notre Cour, les intimés dénoncent la tentative des appelants d'empêcher la municipalité «d'exprimer sa croyance» (m.i., par. 116). Rien ne m'apparaît plus en contradiction avec le devoir de neutralité de l'État. Une telle instrumentalisation des pouvoirs publics ne saurait être justifiée par la tradition.»

L'entêtement de Jean Tremblay à faire un clin d'oeil à Dieu dans le cadre de ses fonctions ne lui a pas nui, loin de là: il a encore été réélu avec une majorité nord-coréenne, il y a un an et demi. Les Saguenéens lui pardonnent tout, amen.

Dans tout le débat sur la Charte, j'ai souvent noté que c'était au fond un débat sur les signes religieux des «autres», ceux qui ne se réclament pas du christianisme. Congédiez cette éducatrice en CPE qui porte un hijab, elle pourrait islamiser nos enfants; ne touchez pas au crucifix à l'Assemblée nationale, c'est du patrimoine...

Bernard Drainville, porteur de la Charte des valeurs québécoises, aurait pu se prononcer sur le combat d'arrière-garde de Jean Tremblay, comme il l'a fait avec force au printemps 2013 pour les règles de stationnement normales suspendues autour d'une synagogue de Montréal, le temps d'une fête juive.

Il ne l'a pas fait.

J'ai vu là le désir manifeste, bien que discret, de ne pas irriter les Québécois francophones de souche encore disposés à aller chanter Ave Maria à la messe de minuit.

Il y a un mot pour cela, ou plutôt un néologisme qui sied bien à toute la tolérance québécoise qui a si bien accommodé les singeries juridiques du maire de Saguenay: la catho-laïcité. La neutralité de l'État, bien sûr, mais de préférence pour emmerder la religion des «autres».

Les réactions

«Le maire Tremblay avait fait d'un combat personnel le combat de toute une ville. Ç'a donné l'image d'une ville qui se refermait au lieu d'être ouverte sur le monde, de gens accrochés à leur religion qui refusaient d'évoluer. Malheureusement, la cause a été défendue en partie avec de l'argent public.»

- Josée Néron, conseillère de l'opposition à Saguenay (Équipe du renouveau démocratique)

«Ce jugement nous confirme d'une certaine façon que la Charte des valeurs allait à l'encontre de ce principe de neutralité de l'État envers les citoyens qui reçoivent des services. Dans la prestation de services, dans la réception de services, l'État a une obligation de neutralité. C'est tout à fait le discours qu'on a maintenu et qu'on maintient depuis toujours sur ces enjeux.»

- Stéphanie Vallée, ministre de la Justice

«Ça ne nous libère pas, comme élus, de notre responsabilité de mettre en place une loi sur la laïcité, sur la neutralité religieuse des institutions publiques de l'État. On a une responsabilité d'inscrire la laïcité dans nos institutions, dans une loi.»

- Bernard Drainville, candidat à la direction du Parti québécois

«On prône l'autonomie municipale. Chaque conseil a le loisir de prévoir un moment de recueillement. Mais c'est certain que nos membres sont invités à respecter la décision de la Cour suprême. Il faut voir quels moyens existent pour prévoir un moment de recueillement, mais sans connotation religieuse.»

- Patrick Lemieux, porte-parole de l'Union des municipalités du Québec