Voici une histoire que chaque cabochon caché derrière un écran devrait lire, imprimer et peut-être faire encadrer. C'est une histoire de notre temps, une histoire du XXIe siècle qui rappelle que le virtuel est une partie du réel.

Ça commence en août 2011 avec Gab Roy, le blogueur de choc (aujourd'hui déchu). Dans une version psychotronique de J.E., Roy s'était présenté chez un concessionnaire automobile de l'est de Montréal pour faire triompher sa version de la justice.

Il s'agissait, voyez-vous, de faire restituer un dépôt de 500$ à une de ses amies, qui s'estimait flouée par le concessionnaire. Roy a filmé son échange musclé avec deux employés de l'entreprise.

Bien sûr, il a mis la séquence sur l'internet.

Bien sûr, il a invité ses (dit-on) 25 000 suiveux à contacter le concessionnaire pour lui donner un char de m*rde...

Cette partie de l'histoire est connue. Surtout parce que peu après la diffusion de la vidéo, le concessionnaire a été la cible d'un incendie criminel (qui n'a jamais été élucidé). Ce fut aussi une des premières fois où Gab Roy est sorti de sa caverne des internets, pour se faire connaître hors du cercle des moutons du 2.0 qui se régalaient de ses bêtises sur levraigabroy.com.

Après, on le sait, Roy s'est autopeluredebananisé, se passant le fil de souris autour du cou à grands coups de singeries qui ont culminé avec une poursuite civile (aujourd'hui réglée) de la comédienne Mariloup Wolfe ainsi que des poursuites au criminel de la chroniqueuse Sophie Durocher et d'une jeune fille mineure (les deux affaires, distinctes, sont devant les tribunaux. En entrevue avec un autre blogueur sur le web, Roy a toutefois laissé entendre hier qu'il plaiderait coupable aux accusations de contact sexuel avec une mineure).

Le cabochon que j'évoquais au début de la chronique n'est pourtant pas Gab Roy. Il s'agit plutôt d'Alexandre Lafortune, 21 ans, protagoniste inconnu de cette affaire, qui vient d'être condamné à 40 jours de prison en rapport avec l'affaire du concessionnaire.

Fin août 2011, répondant à l'injonction de Gab Roy, Lafortune fut l'un des nombreux cabochons à interpeller le directeur des ventes du concessionnaire. Un parmi plusieurs, mais Lafortune fut particulièrement vicieux. Je cite son courriel (lisez à voix haute, sinon c'est incompréhensible): «jen veut po t'a criss de kia a marde vous ete des sal crosseur m'al faire sauter ta criss d'entreprise a marde !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! .... ma rape t kids pis ta femme!!!!!!!!!»

Quand j'imagine les gens qui tripaient sur Gab Roy au point de lui obéir et d'écrire à une de ses cibles pour l'insulter, je les imagine possédant trois caractéristiques principales:

1. Ils écrivent «po» en lieu et place de «pas»;

2. Ils concluent une phrase avec 36 points d'exclamation;

3. Il leur manque quelques dents dans la bouche.

Je ne sais pas si Alexandre Lafortune a toutes ses dents, mais je sais qu'il a été condamné le 16 janvier dernier à 40 jours de prison, après avoir plaidé coupable à deux accusations de menace de mort ou lésions corporelles ainsi que menace de brûler et d'endommager des biens.

Un cas clair de cyberintimidation, a écrit le juge Denis Laberge, qui trouve «effarants et incroyables» les dommages que peuvent causer certaines personnes sur l'internet. Pour le juge Laberge, Alexandre Lafortune s'est livré en parfait troll à du «salissage», sans une once de réflexion sur les conséquences de ses actes.

On peut penser que 40 jours en prison, c'est lourd. Je l'ai pensé une seconde, en lisant la décision. Puis, je me suis mis à la place de la victime, qui a témoigné sur sentence: quand tu reçois des menaces, quand on menace de violer ta femme - le verbe rape, évoqué dans son dialecte de cabochon par Lafortune, veut dire «violer» en anglais - et que tes enfants de 13 et 15 ans sont ciblés sur Facebook, disons que c'est lourd, ça aussi.

L'internet n'est pas une sorte de pays des merveilles où on peut dire et faire n'importe quoi. Écrire, c'est fesser un peu, des fois. La différence entre exprimer des opinions virilement et écrire des choses qui font que quelqu'un craint pour sa vie, c'est non seulement la différence entre l'intelligence et la bêtise, mais c'est aussi la différence entre passer 40 jours à la prison de Bordeaux et ne pas passer 40 jours à la prison de Bordeaux.

Ce n'est pas la première fois que des cabochons sont arrêtés et sanctionnés pour ce genre de menaces. Il y en a de plus en plus. Mais c'est ça, le problème avec les cabochons: ils ne comprennent po vite.