C'est Philippe qui répond quand vos besoins de consommation se butent au plafond de votre endettement. C'est Philippe qui vous dit si - oui ou non - la banque peut relever un peu ce foutu plafond.

Au bout du fil, Philippe passe votre bilan aux rayons X. Tout le monde appelle Philippe. Philippe est spécialiste en produits de crédit de toutes sortes pour les clients d'une grande banque canadienne qui ferait des tracas à Philippe si je l'identifiais.

Mais ce que je voulais vous dire, c'est que tout le monde appelle Philippe. Pilotes d'avion, plombiers, mères de famille monoparentale, profs, politiciennes. Des joueurs de hockey, même.

Et vous.

Philippe en profitera pour parler de fric avec vous. Vous rappeler l'importance d'un budget, de vivre selon vos moyens.

Et là, sur son écran, votre bilan financier apparaîtra. Philippe en saura plus que vous, que votre tendre moitié.

Endettement global.

Capacité d'épargne.

Revenus.

Actifs.

Philippe prendra alors la décision qui s'impose.

Et votre monde, l'instant d'une seconde, sera suspendu à la voix de Philippe.

En décembre, quand vous appelez Philippe pour un peu plus de crédit, Philippe reconnaît dans votre voix une urgence qui n'est pas là, les 11 autres mois de l'année.

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Hasard total, mais quelques jours après ma conversation avec Philippe, la CIBC a publié un communiqué de presse pour parler d'un sondage mené auprès des Canadiens en ce sprint de magasinage pré-Noël.

Sachez que 64% des Canadiens n'ont pas encore terminé leurs achats des Fêtes. Qu'ils ont consacré en moyenne 678$ à ces achats, alors qu'ils prévoyaient en dépenser 517$.

Les Québécois ont beau avoir le 12e (sur 13) revenu disponible (26 746$, contre 30 746$ de moyenne canadienne), quand on leur demande combien ils pensent avoir consacré à leurs achats de Noël, ils sont parmi les plus dépensiers (716$, moyenne canadienne de 678$).

La consommation, nerf de la guerre, de la guerre économique. Et à 163,1% d'endettement par ménage, les Canadiens ne veulent pas la perdre, cette guerre. Ils s'enrôlent vaillamment, prennent les armes sur le destroyer VISA, le porte-avion MasterCard, les tanks Interac.

Un flash, celui d'un 26 décembre, il y a quelques années. Lendemain de Noël, je m'en allais dans le Nord, m'attendant à trouver des routes désertées. Ben non, toi... Bouchon sur la 40 à Montréal. Bouchon sur la 15 à Laval.

Les chars faisant la queue, pare-chocs à pare-chocs, pour accéder au Marché central, au Carrefour Laval. La grande file glorieuse qui attend pour acheter, encore et encore, consomme et consomme...

C'est fou, quand on y pense. On passe décembre à magasiner. Et le lendemain de Noël, enweye dans les magasins - encore -, après s'être tapé des bouchons qui nous font pester toute l'année.

Question, comme ça: si les magasins étaient ouverts le 25, ils seraient pleins, hein?

Philippe, encore: «Peu de clients appellent le 26 décembre. Mais parmi ceux qui appellent, il y a toujours ceux qui veulent du crédit, un 2000$, un 3000$ de plus. Parfois, je dois leur dire qu'ils n'ont pas les moyens. Ils répondent que c'est le Boxing Day, qu'il y a telle affaire ou telle affaire en spécial...»

J'aime penser à ces consommateurs qui appellent Philippe, le 26 décembre, comme à des kamikazes: même quand leur situation est sans espoir, ils veulent quand même participer, faire rouler cette putain d'économie.

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Je ne suis pas mieux que vous. Je vais dépenser, moi aussi. J'essaie juste de rester lucide. J'essaie juste de me rappeler ce qu'on attend de moi, de nous, dans cette société de consommation. Pas un objecteur de conscience, bien sûr que non, mais j'essaie de rechigner devant les ordres. Je résiste à l'envie de changer de téléviseur...

En cette préparation de l'assaut final sur Noël, j'essaie de méditer cette phrase de l'Australien Clive Hamilton, auteur de l'essai Growth Fetish, sur le consumérisme: «Les gens achètent des choses dont ils n'ont pas besoin, avec de l'argent qu'ils n'ont pas, pour impressionner des gens qu'ils n'aiment pas.»

Tout est là.

Et j'essaie de me demander si je suis, en cette fin d'année, plus heureux que l'an dernier, à la même époque.

Vous?

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Tamy a publié une photo sur sa page Facebook, il y a quelques jours. C'est le chalet du lac aux Castors, sur le mont Royal. Sous la photo, quelques mots.

Y a 25 ans, je venais ici. Là, dans la pièce où il y a la porte en bas à gauche, il y avait un banc de bois, marqué par les lames de mille patins. C'était toujours sur ce même banc que mon père attachait les miens. Des patins noirs, pas blancs, comme ceux de Kirk Muller. J'aurais très bien pu les attacher moi-même, mais j'aimais mieux quand c'était lui qui le faisait. Un simple geste.

Vingt-cinq ans plus tard, les cadeaux de Noël, je ne m'en souviens plus. Une fois parti, ce n'est que l'amour qu'on a semé qui reste.

Bien sûr, j'ai cliqué sur «J'aime».