De l'extérieur, on pourrait presque penser que c'est un CPE. Ça pourrait être un CPE, remarquez, avec un nom pareil: «Académie Zénith». Puis on remarque le «21» dans la vitrine, pour 21 ans.

Quand votre enfant a 21 ans, c'est à peu près l'âge où il quitte la maison familiale. Quand votre enfant handicapé a 21 ans, c'est l'âge où vous, le parent, devrez peut-être quitter votre emploi et vous occuper de lui à temps plein.

Votre enfant a un handicap mental ou physique. Depuis sa petite enfance, il va à l'école. Il n'apprend évidemment pas les mêmes choses que les autres enfants, les enfants «normaux». Mais il socialise, il acquiert des outils, des petits outils de rien du tout, parfois. L'enfant progresse, à sa façon. Toute la journée, il est occupé, stimulé et pris en charge.

Les parents peuvent vaquer à leurs occupations, travailler.

À 21 ans, c'est fini. Ils n'ont plus droit à l'école.

À 21 ans, c'est le néant, le gouffre qui donne le vertige à des milliers de parents québécois.

L'Académie Zénith, à Longueuil, c'est un tout petit phare pour les parents d'enfants handicapés adultes de Montérégie, une «ressource», comme on dit dans le jargon du réseau de la santé et des services sociaux, qui s'occupe d'eux, de jour. Les parents soufflent un peu, travaillent; leurs enfants sont gardés et stimulés.

Maryse Tessier, présidente du conseil d'administration, sans qui l'Académie Zénith, qui accueille chaque jour une vingtaine d'adultes de 21 à 55 ans, n'existerait pas, a créé la «ressource» et la tient à bout de bras, mais vous ne l'entendrez pas dire en bureaucratois le mot «ressource».

«C'était, dit-elle, mon rêve.»

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À la base du rêve de Maryse, il y a son Tom.

Je n'ai pas demandé à savoir ce que Thomas «a». Thomas est un garçon qui parle tout le temps, qui dit souvent «non, non, non», qui s'insère dans les conversations et qui repart à l'aventure dans les 5400 pieds carrés de l'Académie, avant de revenir et de se joindre, un peu facétieux, à la conversation...

L'Académie Zénith n'était qu'un rêve. Pour le bâtir, il a fallu ramasser du fric. Sans fric, sans mobiliser le milieu, sans démontrer son sérieux, l'État n'embarque pas. Maryse s'est embarquée dans l'aventure avec une combativité toute maternelle et - après des défis vélo, des virées à moto, des soirées-bénéfice de style casino - elle a amassé 150 000$. En quatre ans.

Tom revient dans la salle, petit ouragan.

- Je l'ai fait pour lui, dit Maryse, en montrant Tom. Je l'ai fait pour aller travailler, aussi. Je ne voulais pas quelque chose d'ordinaire. Je voulais quelque chose qui colle à mes valeurs...

- Tes valeurs, Maryse?

- Je ne voulais pas d'un centre plate aux murs blancs. Je voulais de la joie de vivre.

Et Maryse continue à me raconter la genèse de l'Académie Zénith, la structure bureaucratique étatique qu'il a fallu convaincre, le député Drainville qui fut enrôlé dans son armée, les appels de parents à bout de nerfs, les capitaines d'entreprises qu'elle approchait - et approche encore - avec sa sébile tendue, les réponses polies de type «Je vous entends, madame», «J'en prends bonne note» et «Je vous comprends» quand on cogne à certaines portes, l'immense et renversante générosité que l'on rencontre parfois puis, finalement, la subvention provinciale, avalisée par Véronique Hivon, dans l'éphémère gouvernement péquiste...

«On a eu 140 000$, ça nous a aidés à ouvrir, dit Maryse. Le budget est de 350 000$. Il faut, année après année, aller chercher 210 000$ dans la communauté.»

Il en coûte donc à l'État 140 000$ par année pour qu'une vingtaine d'adultes handicapés - présélectionnés par ces structures étatiques régionales que sont les CRDI, CMR et CSSS locaux, pardonnez l'abus de majuscules - puissent être stimulés et gardés, chaque jour. Pour que leurs parents puissent souffler un peu, continuer à travailler.

Des pinottes, dans le grand ordre des choses.

Sur ce, Tom repart, l'air affairé. Il ouvre la porte, la referme, nul doute, qu'une affaire urgente l'attend dans la salle de jeux...

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La députée de Joliette, Véronique Hivon, a été ministre déléguée aux Services sociaux. Elle garde un souvenir ému des efforts de ces gens engagés qui créent et qui font vivre des organismes communautaires, «qui empêchent le système de s'écraser», en aidant des milliers de Québécois qui ont toutes sortes de problèmes - santé mentale, itinérance, handicaps, etc., etc., la liste est interminable, 3000 organismes -, avec peu de moyens.

«C'est un beau système, c'est un investissement, au fond. Le milieu se mobilise, met des sous et l'État finance en partie. Et dans cette ère d'austérité, ces organismes vont être encore plus sollicités.»

«Vous me permettrez une petite minute politique, me dit-elle au bout du fil. Le 1er avril, nous avions promis 40 millions de financement annuel pendant trois ans pour le communautaire. Nous avons perdu le 7 avril et...»

Et cet investissement a été annulé par le nouveau gouvernement.

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Maryse me fait visiter l'Académie avec la directrice, Sylvie Cadorette, et Lisa Bolduc, mère d'un enfant handicapé, multipoqué, qui s'est enrôlée dans l'armée de Maryse, il y a trois ans.

C'est comme un CPE: joli, ludique, murs aux couleurs vives, jouets dans la salle de jeux, un aquarium, un arbre de Noël, des activités pour bouger et un personnel enjoué. Vous enverriez vos enfants ici.

Sur chaque casier, on retrouve le nom et la photo de chaque adulte fréquentant l'Académie. Nathalie, Sylvain, Yves, Johnny, les jumelles Valérie et Nathalie, Roger...

Lisa Bolduc me dit que chaque année, à l'école Vent Nouveau du coin, c'est 15 adultes handicapés de 21 ans qui tombent - et avec eux leurs parents - dans le gouffre. Lisa est la mère de Charles, un multipoqué de 8 ans. Le gouffre, pour elle, c'est dans 13 ans. C'est pour ça qu'elle a contribué à lancer l'Académie: pour que le vertige soit moins grand, dans 13 ans...

C'est grâce à Lisa que je suis venu rue de Lyon, à Longueuil. Parce que Lisa, pendant un an, m'a relancé et relancé, me jurant qu'il y avait un sujet de chronique dans cette Académie Zénith, dans ces parents qui se battent et dont personne ne parle jamais, ou presque, et qui se battent quand même, parce que leurs enfants, leurs enfants qui bavent et qui portent une couche, leurs enfants qui n'auront jamais un «A» en chimie ou une médaille aux Jeux du Québec, eh bien, leurs enfants, ils les aiment comme vous aimez les vôtres...

Lisa me raconte les nuits de son Charles, nuits épuisantes pour les parents. «Quand j'arrive au bureau, à 9h, avec mon café, c'est plutôt reposant...»

Je dois retourner à Montréal. Maryse, Lisa et Sylvie m'accompagnent vers la porte. J'enfile mon manteau. En sourdine, on entend All I want for Christmas is You, de la salle de jeux.

La musique s'arrête. On entend des rires. La musique reprend. Encore des rires.

Chaque fois, chaque fois que des parents d'enfants handicapés se faufilent dans cette chronique, j'ai la même pensée. Comment vous faites?

Des saints, des saints de notre temps, des saints laïques.

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Maryse m'a écrit un courriel, hier. Elle craignait d'avoir été un peu misérabiliste, à l'Académie, la veille, en entrevue. Elle a insisté pour me dire d'autres trucs...

Tom n'est pas un fardeau, c'est la personne qui me garde les deux pieds sur terre. Quand j'arrive à la maison, il m'attend au bord de la fenêtre et il me fait encore des grands signes dans la fenêtre. Il se colle sur moi dès que j'entre dans la maison. Du gros bonheur, avec un gros B.

Tu les as entendus rire, hier, avant de partir...

C'est ça que je voulais. La vie, la base.