Le courage de Raymond Gravel était moral, c'était le courage d'un homme qui refusait de subir sans rien dire les diktats parfois obscurantistes de cette Église qui était sa maison.

Voici un homme qui a été prostitué pour des clients du Village gai avant d'y réorienter sa carrière, comme serveur dans les bars. En 1982, il a entendu l'appel du Christ et est entré en prêtrise.

Sachant l'animosité officielle de l'Église pour les homosexuels, l'appel a dû être très fort...

Il est apparu tranquillement sur le radar médiatique dans les années 90, notamment avec des lettres ouvertes aux journaux. Il n'hésitait pas à critiquer publiquement certaines positions de cette Église qu'il servait comme prêtre dans Lanaudière, notamment sur le célibat des prêtres, sur la contraception et sur l'avortement.

Il n'était pas le seul soldat de l'Église québécoise à remettre en question le dogme hyper conservateur édicté par la hiérarchie ultraconservatrice de Rome. Des prêtres, des moines, des religieuses ont ces doutes. Mais Raymond Gravel était un des seuls à émettre ces doutes publiquement.

Son courage, il était là. Dans la position - forcément inconfortable - de mouton noir qu'il s'était forgée. La dissidence qu'il n'hésitait pas à afficher dans les médias ne plaisait évidemment pas à tous ses supérieurs, au Québec ou à Rome.

Après avoir fait un mandat comme député bloquiste de Repentigny, Rome a trouvé une façon de lui couper le sifflet: on a ordonné à ses supérieurs québécois de lui interdire de poursuivre ce travail. Il en avait été blessé: je me souviens de sa bouille déconfite, en entrevue, en 2008. Mais un défi à ce diktat aurait pu l'éjecter de l'Église catholique. Il avait décidé, à ce moment-là, de rentrer dans le rang. «C'est ma vie, être prêtre», m'avait-il dit.

Avant d'être prêtre, il avait vécu à 100 à l'heure, il avait souffert, il avait vu souffrir. Comme prêtre, il agissait comme aumônier de policiers et de pompiers: il voyait de très près la condition humaine telle qu'elle se vit en cette société, en cette époque. Cette humanité suintait de ses interventions publiques.

Je sais qu'il faisait suer la hiérarchie catholique québécoise. Mais tantôt, je relisais certains courriels que Raymond m'a envoyés ces dernières années et... Et... Et, chers patrons du clergé, ce que Raymond disait en privé des obscurantistes qui articulent le message de l'Église était salement plus dur. En public, sachez-le, il était diplomate.

Condamné par le cancer, le prêtre Gravel a été conséquent avec lui-même à l'hiver de sa vie: il a salué le projet de loi Mourir dans la dignité. En cela, il était parfaitement synchro avec le consensus québécois sur le suicide médicalement assisté en fin de vie. En cela, il a inscrit sa dissidence avec une Église qui considère encore comme un meurtre le fait d'aider quelqu'un à en finir humainement, s'il est condamné par la médecine.

J'ai toujours vu les prises de position dissidentes de Raymond Gravel comme une forme de loyauté et d'amour envers cette Église. Sur l'avortement, sur l'homosexualité, sur la contraception, il contredisait le message officiel de l'Église. Mais au fond, ce qu'il lui disait était simple: «Ce n'est pas ainsi que les hommes vivent.»

Raymond Gravel était un homme de Dieu. Mais c'était d'abord un homme parmi les hommes. C'est pourquoi, je crois, les Québécois lui témoignaient une affection si viscérale, malgré notre anticléricalisme des dernières décennies...

Adieu, Raymond. Dieu n'existe pas, j'en suis sûr. Mais s'il existe, je compte sur toi pour le faire suer un peu, sa Création étant loin d'être parfaite...