C'est le 30 novembre 2010. Yanick Bouchard est VP Infrastructures chez Genivar, (devenue WSP, depuis). Ce jour-là, il envoie un courriel à Joël Gauthier, PDG de l'Agence métropolitaine de transport (AMT). Les deux hommes sont amis. Ils ont des relations professionnelles: Genivar a des contrats de l'AMT.

J'espère que tu vas bien et que le contexte actuel ne pèse pas trop de votre côté. De mon côté, j'ai hâte de prendre du recul et des vacances. La journée de ski que j'organise avec mon ami Robert Cassius avance, mais est plus compliquée qu'anticipée. Avec tout ce qui se passe, il y a beaucoup de monde qui n'ose plus être présent pour ce type de sortie. Nous n'avions pas prévu cette température non plus (chaleur, pluie).

Plus loin, M. Bouchard évoque son patron «François» (Perreault), «qui apprécie beaucoup le dynamisme» que Gauthier insuffle à l'Agence.

C'est un des courriels envoyés à (et par) Joël Gauthier, obtenus par La Presse, de l'époque où il était PDG de l'Agence. La gestion de M. Gauthier, on le sait, fait l'objet d'une enquête criminelle des policiers anticorruption québécois.

Le courriel se conclut ainsi:

«Je m'arrange pour organiser une petite soirée au Centre Bell si tu as toujours le droit. C'est rendu compliqué de comprendre qui a le droit de respirer.»

Ce courriel est intéressant parce qu'il montre la proximité de Joël Gauthier avec un officiel d'une firme de génie qui fait des affaires avec l'AMT. Parce qu'il montre la superposition des liens d'affaires et d'amitié - «Yanick Bouchard est un de mes bons amis», m'a dit M. Gauthier - qui unissaient l'ex-PDG de l'AMT à ces dirigeants de firmes privées.

Mais dans ce cas, c'est surtout la sortie de ski qui m'intéresse.

Car il n'y a pas eu de sortie de ski.

C'est M. Gauthier lui-même qui me l'a confirmé.

«Je n'ai aucune idée à quoi vous faites référence concernant une sortie de ski en janvier 2011, m'a répondu M. Gauthier la semaine dernière. Je ne suis pas skieur et n'ai pas participé à cette activité.»

Puis Me Cassius de Linval, qui est cité dans ledit courriel, dit n'avoir jamais participé à une sortie de ski avec M. Bouchard. Ce dernier me répond simplement: «Ce courriel parle de lui-même.»

Mais revenons à M. Gauthier. Sa réponse est curieuse: quand il répond à M. Bouchard, deux heures plus tard, il ne le prévient pas, il ne lui dit pas qu'il ne skie pas. Non, il lui dit: «Pas de problème. Je respire très bien.»

Le mystère s'épaissit le 21 décembre, quand M. Bouchard envoie un courriel de suivi à M. Gauthier:

La sortie de ski se tiendra au retour des Fêtes. Toutefois, les chèques seront ramassés avant le 31 décembre de cette année. L'objectif discuté lors de notre déjeuner sera atteint. Au moins 30 personnes. On se revoit, toi, moi et Robert dans la semaine du 10 janvier afin que je puisse te remettre les «vouchers».

Des chèques? Trente personnes? Un objectif?

J'ai posé d'autres questions à M. Gauthier sur ce voyage de ski (voir ci-bas). Il n'a répondu à aucune d'entre elles.

Récapitulons...

À chaque bout de cette correspondance, vous avez Yanick Bouchard et Joël Gauthier.

M. Bouchard fait face à plusieurs accusations de fraude et de corruption dans l'opération Honorer, qui a mené à l'arrestation à Laval de dizaines de personnes, dont l'ex-maire Vaillancourt, en 2013.

On sait qu'il a fait du financement politique dans le passé.

Son ex-boss de Genivar cité dans ce courriel, François Perreault, l'a nommé dans un stratagème de fausse facturation, devant la juge Charbonneau.

M. Gauthier, lui, est soupçonné par l'UPAC d'avoir fait du financement politique illégal pour son ancien parti, le PLQ, quand il dirigeait l'AMT. La police parle de prête-noms, de cash, de chèques faits par des entreprises de génie (non identifiées) qui sont cueillies par le PLQ au bureau de M. Gauthier.

La veille du dévoilement de la déclaration sous serment, M. Gauthier m'avait pourtant juré n'avoir jamais fait de financement politique pour le PLQ quand il dirigeait l'AMT.

M. Gauthier me jure aussi qu'il ne fait pas de ski. Pourtant, par courriel, il participe à une conversation où il est question d'une sortie de ski, de chèques à collecter avant le 31 décembre (fin de l'année financière pour les dons électoraux), d'un «objectif»...

Je dois dire que je suis mêlé!

Mêlé par la dichotomie entre les réponses de Joël Gauthier en 2014 et le contenu de ses courriels en 2010. Freud nous a bien dit qu'un cigare n'est parfois qu'un cigare, mais est-ce qu'une sortie de ski peut être autre chose qu'une sortie de ski?

J'ai posé la question à M. Gauthier. Il n'a pas répondu.

Il y a encore des courriels intéressants dans la messagerie de M. Gauthier, qui lèvent le voile sur la façon de mêler le privé et le public, les affaires et l'amitié. J'y reviendrai. Bientôt.

Les «skieurs» du courriel

Robert Cassius de Linval



Le nom de Robert Cassius de Linval a été associé au scandale des Faubourgs Contrecoeur qui a miné la Société d'habitation et de développement de Montréal (SHDM), quand il était directeur des affaires corporatives de la Ville de Montréal. Le nom de l'avocat a été mentionné à la commission Charbonneau, sans qu'il soit accusé de quoi que ce soit.

François Perreault



François Perreault était VP de Genivar. À la commission Charbonneau, il a raconté en 2013 les rouages de la collusion à Montréal pour l'obtention de contrats municipaux. Deux mois plus tard, il était arrêté pour des histoires de corruption à Laval, dans la rafle qui a permis d'accuser des dizaines de suspects, dont l'ex-maire Gilles Vaillancourt.

Yanick Bouchard



Yanick Bouchard, de Genivar, a été arrêté dans la rafle lavalloise. Son ex-patron François Perreault l'a mentionné à la commission Charbonneau dans des affaires de fausse facturation. Il dirigeait le bureau de Laval de Genivar. Il a participé à l'organisation du célèbre petit-déjeuner de financement pour la ministre libérale Line Beauchamp, auquel le mafieux Domenico Arcuri assistait.