Quand Pierre Karl Péladeau est descendu du bus de campagne du PQ au bras de Pauline Marois, les militants péquistes sont entrés en transe en l'apercevant.

OK, j'exagère. Pas en transe...

Mais quelque chose comme une frénésie a envahi les dizaines de militants péquistes qui formaient une haie d'honneur entre le bus et la vieille gare de Saint-Jérôme.

Applaudissements. Les militants voulaient parler à PKP. Ils voulaient le toucher.

Lui, il rayonnait. L'ex-grand boss de Québecor ne s'attardait qu'à la portion droite de la haie d'honneur, serrant des mains, touchant une épaule, lançant un bon mot...

Un monsieur à côté de moi a crié quelque chose de délicieux à ce héraut de la droite : « Pierre Karl, y a du monde à votre gauche ! »

Et lui, dans son Kanuk bleu foncé, s'est dirigé vers la gauche pour serrer des mains...

Et on l'a encore applaudi.

***

Qu'on aime ou pas le bilan du fils de feu Pierre Péladeau à la tête de Québecor, aucun dirigeant de son calibre n'a, de mémoire d'homme, quitté le confort du Québec inc. pour faire le saut en politique.

Et c'est au PQ qu'il le fait, dans un parti souverainiste. Les militants le savent.

Je réfléchissais à tout ça, dans la portion gauche de la haie d'honneur, quand je me suis fait un peu bousculer. Une dame d'un certain âge voulait apercevoir la recrue aux yeux bleus qui s'approchait de nous. « Il est donc bien beau ! », a-t-elle lancé, pâmée...

Une autre voix a surgi comme un cri du coeur, comme le hurlement du fan quand son club gagne après des années de disette : « Bravo ! ENFIN ! »

Pour le PQ, « Pierre Karl Péladeau » va devenir un argument pour clouer le bec à ceux qui disent que Pauline Marois dirige un parti très fort dans l'art et la poésie, mais nul en économie.

D'ailleurs, un fédéraliste de ma connaissance, qui connaît PKP, m'a glissé ceci à l'oreille, hier : « C'est sûr que ça va rassurer des gens qui ont peur des conséquences économiques de la souveraineté, si un gars qui connaît les affaires comme Pierre Karl dit qu'il n'y a rien à craindre... »

Pour les militants, PKP transcende cette élection.

Pour eux, c'est clair : la game vient de changer. Pour eux, PKP dope carrément la cote en Bourse de l'action souverainiste.

***

Je veux bien croire à la proverbiale coalition arc-en-ciel qu'est le PQ, je veux bien croire que la-souveraineté-n'est-ni-à-droite-ni-à-gauche-mais-en-avant, reste que le PQ social-démocrate vient de recruter un champion de la droite économique. Bonjour, les contradictions...

Tenez, c'est M. Péladeau qui, en 2010, a lancé une attaque en règle contre le Saint Graal du syndicalisme canadien, la formule Rand, qui rend obligatoire l'adhésion d'un travailleur à son unité syndicale. PKP est aussi le « champion des lock-out », dixit Stéphane Bergeron, actuel ministre péquiste.

Marc Laviolette, ex-président de la CSN qui incarne l'aile gauche du PQ, devrait donc faire la danse du bacon devant la recrue Péladeau.

Il devrait accueillir sa candidature avec le même enthousiasme que la poule qui croise le cuisinier des Rôtisseries St-Hubert...

Et pourtant, non.

Je cite M. Laviolette : « Je ne partage pas la façon dont Pierre Karl Péladeau a géré ses relations de travail, mais il ne s'agit pas ici de négocier une convention collective. On veut bâtir un pays, alors son arrivée est un gros plus. »

M. Péladeau est souverainiste. C'est connu depuis longtemps. Mais quand il a cédé les rênes de Québecor à Robert Despaties, comme bien d'autres j'entendais des bruits : « PKP veut contribuer à la souveraineté du Québec. »

Des trucs du genre...

Et je n'y croyais pas vraiment.

Pierre Karl Péladeau, habitué à être le soleil de son univers, qui entrerait dans le rang péquiste, pour devenir député, puis ministre ; qui se taperait le gril des critiques des chroniqueurs et de ses nouveaux adversaires politiques...

Why ?

Désormais, c'est plus clair. Pierre Karl Péladeau et Marc Laviolette peuvent cohabiter dans le même lit politique en se bouchant le nez, chacun de leur bord. Pendant un certain temps.

Tout ce qui les tiendra ensemble, c'est l'horizon référendaire.

C'est pourquoi je suis convaincu que le PQ est beaucoup plus ambitieux qu'on le pense, pour un troisième référendum.

***

La conférence de presse triomphale était terminée. Je marchais vers mon bazou.

Un monsieur m'a accosté. Militant péquiste.

- J'ai travaillé au Journal de Montréal, moi aussi. Comme vous.

- On a travaillé ensemble ?

- Non. Je suis parti en 94, après le lock-out des typographes. J'ai pris la prime, ma femme aussi, pis je suis parti.

C'est le jeune PKP qui avait piloté ce lock-out, à l'époque. Le monsieur en est encore amer...

- On dit que Péladeau a créé des jobs dans sa vie. Pfff ! On faisait 45 $ l'heure, il nous a remplacés par du monde à 15 $...

- OK. Mais pourtant, vous êtes venu l'applaudir !

- Oui, c'est vrai...