Dans le scandale des notes de frais du sénateur Mike Duffy, scandale qui éclabousse la grande famille conservatrice, deux trucs me fascinent.

Mais parlons de Mike Duffy, d'abord.

Vous savez, la métaphore du verre à moitié vide ou à moitié plein?

Mike Duffy a constaté des règles de résidences sénatoriales un peu floues et il a regardé le buffet. Le buffet était à moitié vide. Mais Duffy a décidé que le buffet était à moitié plein. Pour lui. Par ici les doggy bags...

L'histoire, en résumé: l'ex-journaliste parlementaire de CTV a été nommé - par un de ces triples saltos arrière dont notre système parlementaire a le secret - sénateur de l'Île-du-Prince-Édouard.

Le triple salto?

Oui, il possède une bicoque (non hivernisée) à PEI. Mais Duffy est un gars d'Ottawa comme Bonhomme Carnaval est un gars (est-ce un gars, au fait?) de Québec. Il y a 20 ans, alors étudiant à l'Université d'Ottawa, je le croisais dans des pubs du quartier Sandy Hill, immanquable boulevardier à la physionomie de type Humpty Dumpty.

Mais aux yeux du Sénat, si Duffy s'était dit résidant d'Ottawa, il n'aurait pas pu toucher des primes d'éloignement. Il s'est donc dit résidant de l'Île-du-Prince-Édouard! Plus payant: il pouvait manger et dormir dans sa propre maison aux frais de la Reine.

Vrai, les règles du Sénat n'étaient pas claires. Mais dans le doute, Duffy a décidé de voir le buffet à moitié plein.

L'intoxication alimentaire est venue sous la forme d'une enquête interne des notes de frais des sénateurs. Quatre sénateurs ont été pincés: Duffy, Pamela Wallin, Mac Harb et Patrick Brazeau.

Quand Duffy s'est retrouvé dans la tourmente, quand il est devenu clair qu'il s'était mis la face dans le buffet comme un gros malpropre, le Parti conservateur a tenté de lui sauver les jarrets.

Pourquoi?

Parce que Duffy, ex- journaliste-vedette, était un sacré atout pour le Parti conservateur au Canada anglais. Devenu sénateur, Duffy a été enrôlé comme mascotte à financement conservateur un peu partout au Canada. Nommé au Sénat, il était surtout payant pour le parti du PM qui l'a nommé là...

Donc, le scandale a éclaté. Ce n'était pas encore le Duffygate. Ce l'est devenu quand - je résume, ici - Nigel Wright, chef de cabinet de Stephen Harper, a décidé de faire un chèque de 90 000$ à Mike Duffy pour le tirer du pétrin.

Un chèque personnel. Wright est un homme riche qui ne réclamait pas de per diem au gouvernement et qui ne se faisait pas rembourser ses déplacements entre Toronto (où il réside) et Ottawa: une vision généreuse du service public.

Le contraire de Goinfre Duffy.

On le sait désormais, parce que la GRC a présenté les résultats de son enquête criminelle dans un document de 81 pages dévoilé au public la semaine dernière: Nigel Wright trouvait «moralement» scandaleux que Duffy ait réclamé des frais pour manger dans sa propre résidence d'Ottawa.

Mais il a quand même signé ce chèque de 90 000$!

Et l'enquête de la GRC le démontre clairement: au début de cette affaire, même si le Parti conservateur savait que Duffy était un profiteur, même si le personnel du bureau de Stephen Harper le savait aussi, il n'a jamais été question de le répudier publiquement.

Au contraire, on a cherché toutes sortes de moyens pour lui sauver les jarrets, comme je disais. Il fallait sauver le soldat Duffy. Parce qu'il rendait de fiers services au parti.

C'est le premier truc qui me fascine dans cette affaire: le Duffygate est essentiellement un péché de partisanerie.

Même s'il savaient qu'ils avaient affaire à un profiteur, les conservateurs ont tenté de le sauver aussi longtemps qu'ils ont pu. C'est l'ironie de cette affaire: nommé pour des motifs partisans, Mike Duffy a été largué du caucus conservateur pour les mêmes motifs.

Mais l'amputation de Duffy n'a pas aidé les conservateurs. Au contraire, Duffy est devenu Duffygate...

Il eût été plus simple pour Harper, bien sûr, de larguer Duffy au début de cette affaire, quand il fut établi que le sénateur était un profiteur. Mais en politique, «mon» crosseur a toujours de meilleures excuses que le crosseur de l'autre camp...

Le deuxième élément fascinant du Duffygate?

Cette enquête de la GRC, justement. Pensez-y: la GRC a envoyé ses enquêteurs fouiller dans les serveurs du Bureau du Conseil privé (le ministère du PM) pour y retrouver la trace de courriels effacés et elle a interrogé des employés actuels et passés du premier ministre du Canada.

La police fédérale recommande maintenant que Duffy et Wright soient accusés au criminel de fraude, de corruption et d'abus de confiance.

Wow.

On peut le dire, la GRC peut aller renifler jusqu'au plus haut niveau de l'État si elle soupçonne que des actes criminels y ont été commis et camouflés. J'applaudis.