Pour ceux qui l'auraient raté, Mme Deros a dit ceci, lors d'une réunion du comité exécutif, à l'hôtel de ville: «Quand je vois qu'on leur a construit des pistes cyclables, mais que, parce qu'elle est trop achalandée, ils viennent dans la rue avec les voitures! Nous [automobilistes], on ne va pas chez eux lorsqu'il y a une congestion!»

Quand j'ai eu vent des déclarations de Mme Deros, deux choses me sont venues en tête.

Un, mais qui est Mary Deros, grands dieux?

Deux, je vais l'inviter à venir faire du vélo en ville avec moi, une petite promenade d'agrément et de pédagogie.

Mary Deros, donc. Elle n'a pas voulu me dire son âge, mais elle a l'âge d'avoir de grands enfants dans la trentaine. Arrivée de Grèce à 7 ans, elle a grandi dans Parc-Extension. Pierre Bourque l'a recrutée en 1998 pour représenter ce quartier dans lequel elle a toujours vécu. Après avoir fait défection d'Union Montréal, c'est pour Denis Coderre qu'elle se présentera en novembre.

Elle n'a pas voulu non plus venir faire du vélo avec moi. L'arthrite maltraitant son dos et son genou, c'est dans son auto que nous nous sommes promenés...

Et en révisant mes notes d'entrevue, je suis heureux de vous rapporter que le discours de Mme Deros a évolué sur la cohabitation chars-bécyks! Quelque chose comme un virage idéologique à 180 degrés...

«J'ai toujours été impliquée auprès des jeunes et je trouve important qu'ils soient actifs, même dans leurs transports...»

«Je suis en faveur de continuer à augmenter le nombre de pistes cyclables. J'en veux dans mon quartier.»

«Regardez, c'est magnifique, ce qu'ils ont fait, dit-elle aux abords de la portion de l'avenue Laurier réaménagée l'an dernier pour faire plus de place aux vélos. Quand les automobilistes disent que les cyclistes devraient rester sur les pistes cyclables, je leur dis qu'ils ont le droit d'être dans la rue...»

Et quant à ses paroles sur les cyclistes qui devraient rester sur les pistes cyclables, paroles qui semblaient sortir de l'année 1987, Mme Deros m'a assuré que c'est uniquement parce que ce matin-là, elle avait vu des cyclistes frôler l'accident en zigzaguant dans le trafic qu'elle a eu ces mots malheureux.

- Le constructive criticism, comment on dit en français?

- C'est «critique constructive», Mme Deros.

- Eh bien, je crois que la critique constructive, ça mène à la discussion...

- Mais ce que vous avez dit au comité exécutif, come on, c'était pas de la critique constructive, ça!

- Non. Mais vous savez, on a très peu de temps pour parler, dans ces moments-là, avant qu'on nous coupe la parole... Ce matin-là, j'ai vu des accidents qui ont failli survenir, c'est cette frustration qui a mené à cette intervention... Au moins, ça a commencé un débat!

Un débat? Peut-être. J'ai pourtant l'impression que le débat sur la cohabitation cyclistes-automobilistes, il est fini. À Montréal, du moins. Les vélos sont là, sur les routes, et ils font partie du décor, acceptés comme une évidence.

Ne prenez pas ma parole. Prenez celle de Suzanne Lareau, présidente et directrice générale de Vélo Québec: «Je faisais du vélo il y a 35 ans. Grosse différence avec aujourd'hui! Plus il y a de cyclistes, plus il y a de l'acceptation des déplacements en vélo.»

C'est pour ça que les paroles de Mme Deros m'ont consterné, il y a deux semaines: elles n'étaient pas en phase avec la réalité de la route. Une réalité où la cohabitation n'est pas parfaite, mais bien plus harmonieuse qu'il y a 10 ans.

Le vélo a commencé par emmerder l'automobiliste pépère. Puis, petit à petit, l'acceptation s'est élargie. Une métaphore d'à peu près tout ce qui peut nous fâcher quand apparaît quelque chose de "neuf" dans le paysage.

Dans le calme de son véhicule, Mary Deros en convenait facilement. Devant la Grande Bibliothèque, la conseillère municipale tentait de tourner sur De Maisonneuve, à droite. Une manoeuvre délicate qui exige de pivoter vers l'arrière pour bien voir venir les cyclistes qui descendent vers le sud.

Un cycliste passe. Un deuxième. Un troisième. Mary Deros s'engage quand je lâche un NON!: elle n'a pas vu qu'un quatrième cycliste s'apprêtait à la dépasser. Mme Deros a appuyé sur le frein prestement, laissant passer le vélo.

Et il y avait quelque chose comme un symbole dans cet accident évité de justesse. Même si Mme Deros était super prudente, elle avait bien failli couper la voie à ce cycliste qui avait droit de passage.

En nous dépassant, le cycliste a fait une moue dégoûtée en secouant sa tête casquée, croyant sans doute avoir affaire à une automobiliste imprudente. Ce n'était pas le cas.