Presque chaque fois qu'un cas d'accommodement raisonnable fait grimper mes semblables dans les rideaux de la Nation, je me sens mal de rester assis dans mon canapé IKEA. J'ai bien dit «presque chaque fois». Des fois, je suis là-haut, près de la tringle, avec mes semblables, à me gratter le bobo laïque. Mais c'est rare.

Ce qui nous amène à cette histoire sortie par TVA la semaine dernière: les interdictions habituelles de stationnement dans certaines rues de Côte-des-Neiges sont suspendues pour une fête juive, la Chavouot.

Attendez, ne grimpez pas dans les rideaux tout de suite.

Pendant deux jours, dans ces rues adjacentes à une synagogue, personne ne reçoit de ticket. Personne.

L'arrangement existe depuis des décennies. Depuis 1984, semble-t-il. Je dis «arrangement» et pas «accommodement»: dans Côte-des-Neiges, il existait avant même que la Cour suprême ne consacre le principe des accommodements raisonnables.

En 1999, The Gazette rapportait dans un (bref) article que le comité exécutif de la Ville de Montréal venait d'officialiser la pratique pour une quarantaine de rues situées près de synagogues, pour six fêtes juives, dans différents quartiers.

J'ai cherché dans les bases de données des médias. Cet arrangement n'a jamais causé de controverse documentée dans Côte-des-Neiges. Ni ailleurs. En 30 ans.

Puis, TVA en fait une nouvelle en 2013. Là, il y a controverse. Il y a des montées de lait.

Bernard Drainville, ministre responsable des Institutions démocratiques et de la Participation citoyenne, a réagi: «C'est un accommodement qui n'est pas nécessaire. On ne peut pas commencer à avoir des règles de signalisation routière selon les religions, ça n'a pas de bon sens, parce que là, on n'en finira plus.»

Assis dans mon canapé IKEA, je lis la déclaration de Drainville. Et... Et...

Et un mot sur Drainville, avant d'aller plus loin. Ce n'est pas un ami. Mais j'appréciais son style de journalisme quand il était dans le métier. Question d'atomes crochus. Idem depuis son entrée en politique.

Mais là-dessus, sur l'identité, zéro atome crochu. Je reste assis dans mon canapé IKEA, je regarde Bernard dans les rideaux et je me demande quelle mouche l'a piqué...

La mouche de la laïcité: c'est lui qui prépare la Charte de la laïcité. Qui sera, m'a-t-il dit, l'équivalent moderne de la loi 101. «Difficile et controversée à implanter, mais on va se féliciter plus tard de l'avoir adoptée.»

Je l'ai interviewé, hier, sur le cas des parkings de la Chavouot. Extraits:

«Le principe, c'est celui de l'équité. Avec qui? Avec les autres citoyens. Tu ne peux pas commencer à modifier les panneaux de stationnement selon les religions de chacun. Ça ne finira plus.

«Si tu commences à donner à la communauté juive orthodoxe un traitement préférentiel, spécial: tu crées un précédent. Tu crées les conditions pour que d'autres communautés demandent de ne pas respecter les règles. C'est le free for all.

«Un tel traitement préférentiel attise le ressentiment du citoyen. Il voit ce passe-droit sur une base de religion et il ne comprend pas.»

En l'écoutant, c'est moi qui étais en train de grimper dans les rideaux. J'ai beau chercher la pente savonneuse, je ne vois que le sentier sans histoire d'un bon voisinage qui a duré 30 ans, sans controverse, sans grogne ni intervention ministérielle.

J'ai beau chercher le déficit d'équité dans cette histoire, je ne vois qu'une société qui depuis Hérouxville hurle INACCEPTABLE!!! dès qu'on prononce la première syllabe d'«accommodement»...

Je vois aussi un PQ qui cherche sur l'identité québécoise à être encore plus adéquiste que l'ADQ de 2007. Je vois l'identité comme le seul parachute qui puisse stopper la descente du PQ.

Je vois aussi des élus de tous les partis - il s'avère que le PQ est au pouvoir présentement - totalement en phase avec l'électorat: intraitables laïcs quand il s'agit de la religion des autres, mais soudainement tout en nuances quand il s'agit de «notre» religion catholique...

Le crucifix à l'Assemblée nationale, le maire de Saguenay qui impose la prière au p'tit Jésus à la mairie: ah, là-dessus, les élus de tous les partis sont très, très, très nuancés! Leur conviction laïque a soudainement besoin de Viagra quand il s'agit de «notre» religion et de sa place dans l'espace public.

Le PQ a donc lancé un de ses ministres dans une affaire de parking dans Côte-des-Neiges. Je cite Bernard Drainville: «Un tel traitement préférentiel attise le ressentiment du citoyen. Il voit ce passe-droit sur une base de religion et il ne comprend pas.»

Tu veux parler de «traitement préférentiel», Bernard?

Parlons-en.

Je paie de l'impôt foncier. Le dépanneur au coin de ma rue paie de l'impôt foncier. La Caisse pop aussi. Sans oublier le IGA.

Mais l'église du quartier n'en paie pas. Pas plus que les lieux de culte des autres religions. Si c'est pas un «passe-droit sur une base de religion», ça, je me demande c'est quoi. Grrrr, le ressentiment me ronge!

Mais je sais que le PQ n'a pas l'intention de mettre fin à ce passe-droit basé sur la religion. Ma théorie: des centaines d'églises catholiques au Québec seraient soudainement dans le pétrin. Oups. Ça ferait beaucoup de cathos fâchés.

J'aimerais, Bernard, que tous ceux qui ont grimpé dans les rideaux soient aussi intraitables avec «notre» religion qu'avec celles des «autres»...