C'est un après-midi humide au sixième étage d'un immeuble de l'Office municipal d'habitation de la Ville de Montréal, le genre de «bloc appartements» qui a probablement été conçu par un architecte soviétique échappé de Sibérie. Jean-François Lisée, candidat péquiste dans Rosemont, y fait du porte-à-porte.

Intellectuel public, auteur, journaliste, pusher de grandes idées de gauche, ex-dirigeant du Centre d'études et de recherches internationales de l'Université de Montréal (CERIUM), Lisée a aussi été conseiller des premiers ministres Parizeau et Bouchard.

Et là, il est 14h23, on entend le bruit des néons, et JFL attend devant la porte d'un appart de ce HLM, la porte 605.

Toc, toc, toc: Gilles Deschênes, sympathisant péquiste qui habite l'immeuble et qui y connaît tout le monde, cogne. C'est lui qui présente JFL aux résidants.

Un chien jappe.

Et jappe.

Mais personne ne répond.

- C'est un mini-boxer, annonce Gilles, en cognant de nouveau. Des fois, les gens font une sieste, il faut cogner plus fort!

- Oh, fait le candidat, pas sûr que c'est une bonne idée de les rév...

Trop tard.

TOC, TOC, TOC.

Pas de réponse.

Mais au cinquième étage, Suzanne Grenier, 73 ans, ouvre la porte et interrompt Gilles Deschênes, qui allait présenter le candidat Lisée, en faisant un O avec sa bouche: «Je le connais! Il passe toujours à la télévision!»

Mme Grenier a des problèmes de coeur. Les hôpitaux, elle connaît.

«J'vous dis que c'est pas fort! Je les talonne, je les talonne! Sinon, ils vous mettent sur la track d'à côté. Mon rendez-vous à l'Institut de cardiologie? C'est juste en novembre. En novembre! Pis ça coûte cher: avec toute c'qu'on paie, c'est 1000 piastres par année, se faire soigner...»

Jean-François Lisée se faufile dans l'ouverture: «Eh bien! Avec nous, madame, la taxe santé, la taxe injuste de 200$ imposée par Charest, ça va sauter...»

Mme Grenier promet de le retrouver et de l'étouffer si le PQ, une fois élu, renie cette promesse. Si le PQ renie cette promesse, jure le candidat, «je vous rembourserai moi-même ces 200$».

Mme Grenier referme la porte. Elle a le souffle court, mais elle rit.

Depuis que Jean-François Lisée a finalement annoncé qu'il acceptait l'invitation du PQ de se présenter dans Rosemont, j'ai souvent entendu plusieurs variantes d'une observation étonnée et parfois malveillante: «Lisée qui fait du porte-à-porte? Je paierais pour voir ça!»

Sous-entendu: Jean-François Lisée qui va à la rencontre du «vrai monde» ? Ça va être le désastre!

Pas du tout. Blagueur, affable, Jean-François Lisée, avec le proverbial «vrai monde», est très à l'aise. On est loin du professeur Tournesol.

Il est étonné qu'on puisse être étonné de cette facilité avec les gens. «Être journaliste, c'est parler à des gens que tu ne connais pas. C'est gagner leur confiance, leur faire dire des choses qu'ils ne pensaient pas te dire. Quand je couvrais des élections américaines, c'est ce que je faisais: demander aux gens leur nom et m'expliquer pour qui ils allaient voter. Le porte-à-porte, c'est le prolongement du métier de journaliste. Ça me vient naturellement.»

Au gouvernement, quand il travaillait pour Parizeau puis pour Bouchard, il avait soif de l'entendre, le «vrai monde». «À l'époque, je me faisais un devoir d'aller assister aux groupes-tests. Tu entends toutes sortes de choses utiles. Là, dans Rosemont, en campagne, l'échantillon est juste plus grand. Mais ça prend ça, en politique: le réel.»

Transparence totale: Lisée est devenu un chum au cours des dernières années. Ça va être dur d'écrire sur lui, s'il est élu: je n'ai pas de recul. Mais je suis étonné qu'on lui prête une personnalité déconnectée du «vrai monde». Le JFL que je connais, c'est celui qui me traîne au cinéma pour aller voir des films hollywoodiens de type niaiseux, comme 2012 ou The Tourist.

Ici et là, des citoyens du bunker engagent la conversation avec lui. Plusieurs promettent de voter PQ, ce qui n'a rien d'étonnant: Rosemont est un château fort péquiste (50% des voix pour Louise Beaudoin en 2008).

D'étage en étage, l'enthousiasme de Lisée n'est pas entamé malgré la monotonie de la tâche. Selon le degré d'attention de la personne qui répond, il module son message. La limite de 100$ pour les dons aux partis politiques! La corruption endémique sous le régime libéral! L'abolition de la taxe santé de 200$! La première première ministre de l'histoire! Mettre Charest à la retraite!

Je le regarde aller et je me dis, comme chaque fois que j'accompagne un candidat qui «fait du terrain», qu'une campagne électorale et la vente de plats Tupperware ont quelques cousinages troublants.

Au deuxième étage, un jeune homme dit à Lisée qu'il n'est pas sûr qu'un référendum soit une bonne idée. Le candidat-vedette évoque alors les changements profonds que Stephen Harper est en train d'orchestrer partout au Canada. Avec la CAQ, avec le PLQ, martèle-t-il, vous n'aurez pas le choix: vous allez rester dans le Canada. «Mais avec le PQ, vous allez l'avoir, le choix de rester ou pas!

- Ben, je vous souhaite un référendum, alors!» lance le citoyen en souriant.

Guilleret, il file vers une autre porte. Il s'arrête devant moi, montre mon calepin et lâche une boutade qui explique tout son engagement politique: «Et c'est ainsi qu'on crée des séparatistes!»

JFL est un indécrottable optimiste.