En apprenant que Jacques Duchesneau embarquait dans l'autobus de la Coalition avenir Québec, je n'ai pas pu m'empêcher de penser à l'automne 1995 et à un certain Lucien Bouchard.

Rappelez-vous. La campagne du OUI, en vue du référendum du 30 octobre, battait de l'aile. Puis, le premier ministre Jacques Parizeau a conscrit M. Bouchard dans ce rôle de «négociateur en chef» d'un éventuel Québec souverain. Traîné aux portes de la mort un an plus tôt par la bactérie mangeuse de chair, le chef bloquiste est entré dans la campagne référendaire comme une rock star.

Foules en délire, partisans en pleurs devant ses discours enflammés: il a insufflé une énergie quasi irrésistible au camp du OUI, qui végétait jusque-là. Pendant ces quelques semaines, Lucien Bouchard marchait sur l'eau. Saint Lucien, disait-on.

Jacques Duchesneau, ancien chef de la police de Montréal, n'est pas Lucien Bouchard. Mais le Duchesneau de 2012 partage une chose avec le Bouchard de 1995: une cote d'amour exceptionnelle dans le coeur des Québécois.

Jacques Duchesneau, enrôlé par Québec dans la lutte à la corruption, est plutôt devenu le symbole de l'ambiguïté du gouvernement de Jean Charest dans la vigueur à opposer à ces histoires sales touchant des contrats publics. Des histoires sales qui ont dégoûté les Québécois, qui réclamaient à 80% une commission d'enquête publique sur ces histoires pendant que Jean Charest s'entêtait à les ignorer...

Lucien Bouchard, tribun irrésistible, était en 1995 en symbiose avec des millions de Québécois touchés par son combat, un an avant, contre une bactérie mortelle. Chef d'un Bloc encore neuf qui avait balayé le Québec en 1993, il est entré dans la campagne de 1995 fort de cet amour que lui portaient ses compatriotes.

Peut-être le mot «amour» est-il trop fort pour illustrer le lien entre Jacques Duchesneau et les Québécois. Peut-être vaut-il mieux parler d'admiration. Mais cette admiration est manifeste. L'ancien chef de police, comme M. Bouchard en 1995, se lance dans un combat politique auréolé d'un prestige en béton armé.

M. Duchesneau n'est pas parfait. Un exemple: quand il a avancé, devant la commission Charbonneau, que 70% de l'argent circulant en politique québécoise était de l'argent sale, il s'agissait d'une affirmation absolument spectaculaire, difficile à avaler. Difficile à étayer indépendamment, aussi. Cette affirmation aurait pu entacher la crédibilité d'un simple mortel. Elle n'a pas entaché celle de M. Duchesneau.

Et quand l'avocate du Parti québécois, devant cette même commission, a bêtement et durement tenté de discréditer Jacques Duchesneau pour cause d'enquêtes hors mandat après la fin de son passage à l'Unité anticollusion, la réaction du public a été si viscérale que le PQ a quasiment dû s'excuser.

C'est dire à quel point, d'ici au 4 septembre, Jacques Duchesneau sera un candidat difficile à attaquer pour le Parti québécois et le Parti libéral du Québec. Comment torpiller la crédibilité d'un homme qui suscite une admiration généralisée? Pas facile. La torpille risque de se retourner contre le tireur...

Bien sûr, M. Duchesneau aime les kodaks. Mais je crois que le public lui pardonne cela parce qu'il sait que l'homme, dans les officines, s'est tenu debout devant les forces qui auraient souhaité que son fameux rapport - explosif, révélateur - sur les us et coutumes des Bob le Bricoleur du monde des Transports soit discrètement rangé dans la filière 13.

En ce sens, la candidature de Jacques Duchesneau fait pâlir celle d'un autre ex-flic entré en politique récemment, je parle de Robert Poëti. Ex-flic médiatique qui a passé le printemps érable à justifier tous les dérapages constabulaires, M. Poëti brigue les suffrages pour le Parti libéral.

D'un bord, on a M. Poëti, qui a chapeauté la sécurité routière à la SQ en plus d'y faire des relations publiques, et qui se joint au parti qui ne voulait rien savoir d'une commission d'enquête. De l'autre, on a M. Duchesneau, qui a déjà passé les menottes à son boss ripou quand il était un jeune enquêteur de la police de Montréal, qui a vécu la guerre des motards quand il était devenu chef de ce corps policier, et qui a refusé de cautionner l'inaction des libéraux par son silence.

J'aimerais voir ces deux-là en débat.

DÉBATS - Parlant de débats, bravo à TVA qui a bousculé l'ordre établi en proposant un nouveau format de débat des chefs. Ce n'est pas parfait: on préférerait y voir tous les partis représentés à l'Assemblée nationale. Mais reconnaissons que les débats des chefs sont généralement des exercices soporifiques qui permettent aux chefs de balancer leurs cassettes sans trop avoir à se bagarrer. Signe de leur futilité: on passe autant de temps à analyser la couleur des cravates des chefs que leurs mots.

Radio-Canada et Télé-Québec répliquent en organisant leur propre débat. Dans tous ces exercices, j'espère qu'on verra des échanges véritables, des droits de réplique étoffés, des journalistes qui peuvent signifier aux chefs que, non, ils n'ont pas répondu à leur question, ou que les faits cités sont chambranlants...

Le contraire de l'exercice de marketing qu'est un débat des chefs ordinaire, quoi.