On dirait quasiment que l'arrestation de Luka Rocco Magnotta était arrangée avec le gars des vues. Que faisait-il, quand des policiers berlinois l'ont interpellé? Il s'informait à propos de la chasse à l'homme planétaire dont il était - j'allais dire l'objet - la vedette.

Il y a là comme un retour de boomerang: ce crime dont Magnotta est soupçonné, c'est un crime fait sur mesure pour la consommation publique, par l'internet. Cette mise en scène macabre, sa diffusion, c'est une façon d'exister, d'exister dans l'oeil public.

Et quand on le pince, que faisait-il?

Magnotta épiait ce qui se disait - enfin - de lui.

Ça ne s'invente pas.

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Quand on décrypte le parcours de Magnotta, au cours des dernières années, une chose est évidente: cet homme cherchait une célébrité qui, elle, le fuyait obstinément.

Le crime dont Magnotta est soupçonné est l'oeuvre d'un fêlé. Mais si c'est bien Magnotta qui l'a fait, c'est l'oeuvre d'un homme qui voulait percer l'écran, monter dans l'autobus du showbiz, être connu et reconnu.

Ce Canadian Psycho est, aussi, un pur produit du XXIe siècle. Pas à cause du meurtre dont on le soupçonne, non, l'homme tue son prochain de façon sordide depuis la nuit des temps. À cause de la vidéo insupportable qui montre le crime.

L'acte de se filmer, le choix de diffuser lesdits actes et la facilité avec laquelle on peut faire tout cela sont un signe de notre temps. À chaque minute, les internautes ajoutent l'équivalent de 60 heures de vidéo sur YouTube, écrivait récemment le magazine Time: l'équivalent de 10 années de vidéo par jour. Ça fait beaucoup de monde qui veut se mettre en scène...

Sur le blogue Terreur! Terreur!, Ed Hardcore (nom de plume, bien sûr) a écrit hier que Magnotta est le premier véritable acteur-réalisateur d'un snuff movie, un snuff étant la commission d'un meurtre destiné à être filmé et diffusé. Jusqu'ici, le snuff était du domaine de la légende urbaine. C'est fini.

« (Magnotta) est l'un des premiers à disposer du 2.0 pour arriver à ses fins, note Hardcore. Avec nos moyens de communication [d'autres tueurs, comme] le Zodiac, le BTK Killer ou même Jack l'Éventreur auraient eu un plaisir fou à téléverser des vidéos online et à twitter leurs crimes.»

Ça ne veut pas dire que le 2.0 va créer plus de fous. Ça veut dire que les fous ont plus de moyens pour se mettre en scène que jamais auparavant dans l'histoire de l'humanité.

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Quand je couvrais des faits divers, à la fin des années 90 et au début des années 2000, trouver des images de victimes de faits divers était une quête longue et ardue. Idem pour celles des accusés.

Aujourd'hui, il s'agit de «googler» un nom et, de façon quasi instantanée, on trouve des dizaines d'images de protagonistes de faits divers. C'est fascinant, c'est effrayant.

Dans le cas de Magnotta, on l'a vu poser de mille et une façons, comme s'il était un mannequin, comme s'il était un acteur, comme s'il était célèbre. Mais ces images pourraient être celles de milliers d'autres personnes, aspirant à la célébrité grande ou petite, absolument pas détraquées, qui ne tuent ni ne démembrent leur prochain. En cela, ces images de Magnotta sont les images de l'époque.

Et acteur, en fait, Magnotta l'était, à sa façon: dans un autre clin d'oeil à cette époque du tout-filmé, tout-montré, j'ai reçu une vidéo qui le montre en pleine action, dans une scène XXX avec une proverbiale MILF. Grotesque, oui, mais cohérent avec sa trajectoire.

Une fois ramené à Montréal, pour y être vraisemblablement accusé, Magnotta pourra jouer dans la scène finale de ce snuff dont on l'accuse.

Cette scène finale? Son procès.

Car si ce kid kodak plaide coupable (dans le cas où il est déclaré apte à subir son procès), ce sera une rupture radicale avec ce que fut sa vie, jusqu'ici. Une frénétique recherche d'attention, poussée à son absurde et macabre limite.