Le décès de Gilles Villeneuve, pour ceux de mon âge, c'est un peu comme l'assassinat de JFK. On se souvient à peu près tous de ce qu'on faisait quand on a appris sa mort.

J'étais dans la cour de Sébastien Gauthier, mon deuxième voisin. Un samedi ensoleillé, un peu frisquet.

«Patrick!»

Ma belle-mère, sur le balcon.

«Gilles Villeneuve est mort!»

Pour que la femme de mon père se donne la peine de me tenir au courant d'un fait d'actualité sportive, il fallait vraiment que le fait en question soit d'une importance capitale.

C'était en 1982, l'année où l'actualité a commencé à percer la bulle de mon enfance. L'invasion des Malouines par les Britanniques, celle du Liban par Israël, le rapatriement de la Constitution: trop petit pour apprécier tout le contexte, assez grand et fasciné par les nouvelles pour sentir ce qui est important...

Gilles Villeneuve, mort?

Ça, je savais que c'était important, instinctivement. Je savais qu'un pan de la culture du Québec, et je ne parle pas seulement de la culture sportive, venait de s'écrouler.

Parce que Gilles Villeneuve transcendait son sport, il était quelque chose comme une métaphore de notre sort, pour paraphraser les Loco Locass. Il ne faisait pas que figurer. Il était bon. À travers lui, comme toujours pour les petites nations, c'est nous tous qui brillions quand il brûlait les pistes d'Europe dans son bolide rouge.

Gilles Villeneuve réunissait les familles, comme le Canadien de Montréal. Il excellait dans un domaine qui, contrairement au hockey, était étranger au Québec: les courses de F1.

La légende fait en sorte qu'avec le recul, Gilles Villeneuve était un gagnant. Mais pourtant, non, pas tellement: six victoires en piste, pas de championnat du monde. Qu'importe: il volait le spectacle, il faisait le spectacle, il était le spectacle. Le pilote Jody Scheckter, aux obsèques de la fierté de Berthierville: «Il fut le plus rapide de l'histoire.»

Dix ans plus tard, peut-être que le même accident de Gilles Villeneuve à Zolder n'aurait pas eu les mêmes conséquences. Les années 1980 furent, en effet, le début de la fin du laisser-aller meurtrier de la F1. Dans les seules décennies 1960 et 1970, pas moins de 26 pilotes ont trouvé la mort en piste. Sans compter les spectateurs.

En 2011, la BBC a présenté un documentaire effrayant sur ces années meurtrières, Grand Prix: The Killer Years. Voitures mal conçues, pistes faites pour tuer, déficiences quasi criminelles au chapitre de la sécurité et mépris général pour la vie humaine: piloter une F1, dans ces années de fou, était vraiment un sport dangereux. On l'a un peu oublié: Ayrton Senna est le dernier pilote à s'être tué en piste, en... 1994.

Et pourtant, les pilotes continuaient à défier la mort, en ces années meurtrières, même en sachant les risques insensés. En 1970, l'Autrichien Jochen Rindt a gagné le championnat du monde à titre posthume: il est mort lors des essais du Grand Prix d'Italie.

Sa veuve, Nina, dans le documentaire, malgré son amertume face aux autorités de la F1: «Il est mort en faisant ce qu'il aimait faire. On ne peut pas se battre contre ça.»

Comme Villeneuve, il y a 30 ans.

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GILLES VILLENEUVE EN BREF

> Né le 18 janvier 1950, mort le 8 mai 1982

> Carrière en F1: 1977-1982

> 67 Grands Prix

> 6 victoires

> 13 podiums

> 2 positions de tête

> 2e au championnat des pilotes en 1979

Photo: Michel Gravel, archives La Presse

Parce que Gilles Villeneuve transcendait son sport, il était quelque chose comme une métaphore de notre sort, pour paraphraser les Loco Locass.