Il est 23h33 et je regarde, furieux, les images de la télé qui montrent Montréal encore une fois transformé en terrain de bataille. Je regarde, furieux, une autre manif pacifique qui a dégénéré. Je regarde, furieux, un gouvernement qui est en train de réussir un coup fumant : laisser pourrir une situation en espérant en recueillir les fruits.

Trois Québécois sur quatre sont insatisfaits de ce gouvernement. Après neuf ans de pouvoir, son usure est visible. Les histoires de corruption, on ne les compte plus: elles viennent souvent s'échouer dangereusement près de la cour du Parti libéral. Ça explique cette insatisfaction généralisée.

Ça explique aussi pourquoi ce gouvernement qui a toujours fini par reculer dans tant de dossiers, du mont Orford à la commission d'enquête publique sur la collusion dans la construction, ne recule pas d'un millimètre sur les droits de scolarité. Ce n'est pas un dossier absolument capital pour l'avenir de la nation. Ce n'est pas le genre de dossier qui nécessitait un entêtement obtus. Ce n'est pas le genre de dossier qui ne pouvait absolument pas faire l'objet, il y a un an ou il y a un mois, de négociations menées de bonne foi par le gouvernement.

Jamais le gouvernement n'a montré autant de combativité dans le dossier du gaspillage de l'UQAM à l'îlot Voyageur. Jamais il n'a montré autant de combativité pour savoir combien valait le pétrole de l'île d'Anticosti. Jamais il n'a montré au tant de combativité pour savoir comment la Caisse de dépôt a pu perdre 40 milliards.

Mais pour 1625$ d'augmentation de droits de scolarité, un choc tarifaire de 75% en cinq ans, là, dans ce dossier, il est absolument intraitable, il est aussi combatif que Bruce Willis dans ses Pièges de cristal. Pas de négo, pas de prisonniers.

Mais c'est un rare dossier où Jean Charest a l'appui des Québécois. Un sur deux qui appuie les positions gouvernementales.

Et il faut être aveugle pour ne pas voir que le gouvernement Charest va utiliser cet appui comme levier, dans une prochaine campagne électorale. Un levier pour faire oublier tout le reste. Un levier pour se poser en défenseur de l'ordre.

Car quand le désordre plane et que le chaos règne, le bon peuple effrayé se tourne vers qui ?

Vers l'État.

Qui dirige l'État ?

Le gouvernement de M. Charest.

Non, c'est même pas le chien court après sa queue, c'est le chien de la célèbre expression anglaise « Wag the dog « qui décrit cette tentative de diversion qui nous fait oublier l'essentiel. C'est le titre d'un film, d'ailleurs, où il est justement question de faire oublier l'essentiel...

La ligne dure du gouvernement Charest avec les étudiants, c'est la queue du chien qui branle tellement fort qu'on en oublie de voir le petit cadeau qu'il a fait sur le tapis

Les ficelles sont grosses comme des câbles à bateau. Certains les voient, d'autres sont aveuglés par l'idéologie de la « juste part «, dont les étudiants sont, mystérieusement, les seuls à faire les frais.