Ne voyez dans la phrase qui va clore ce paragraphe aucune colère, aucun cynisme, s'il vous plaît. Ce n'est pas dans cet état d'esprit que je l'écris. J'aurais aimé savoir quel était l'état de santé réel de Jack Layton lors de la campagne électorale du printemps dernier.

Je sais, ce n'est pas le moment. Mais ce n'est jamais «le» moment.

Un homme de 61 ans qui ne pratique pas de sport extrême, généralement, ne se fracture pas la hanche. S'il a eu le cancer de la prostate, là, c'est différent. N'importe quel oncologue va soupçonner que le mal s'est étendu aux os. Il y a fort à parier que M. Layton marchait avec une canne exactement pour cette raison. Mais nous n'avons jamais connu la raison, justement.

Qu'on se comprenne bien: Jack Layton avait le droit de garder pour lui le pronostic de ses médecins, peu importe quand ce pronostic lui a été annoncé. Ce faisant, il n'a enfreint aucune règle, aucune loi.

Mais la question se pose: quel degré de transparence les politiciens qui veulent être élus devraient-ils avoir par rapport à leur état de santé? Que faut-il qu'un élu dévoile? Seulement le cancer? Si oui, à quel stade? Et un historique de dépression, il faut en parler?

Denis Coderre, député libéral de Bourassa, croit par exemple que le chef du NPD a été transparent. «Quand il a eu le cancer de la prostate, il ne l'a pas caché.»

Bien d'accord. Mais révéler la nouvelle de son cancer est une chose; révéler l'état de la maladie au moment d'un scrutin en est une autre. On ne parle pas d'un job ordinaire: M. Layton désirait être premier ministre.

La vérité, c'est que je n'ai pas de réponse claire dans ce dossier. Je n'ai qu'un petit malaise: il se peut que des millions de personnes, le 2 mai dernier, aient voté pour un homme qui savait que ses chances de survie à long terme étaient minces. Ce n'est pas banal.

LE CRABE Une lectrice de La Presse, cette semaine, m'a devancé en pourfendant une expression qu'on lance tous sans y penser et qui a rebondi partout, en cette semaine du décès de Jack Layton.

Je parle de «perdre son combat contre le cancer». On peut mettre cette phrase sur la même tablette que le mot «microsillon», vous pensez?

En pensant qu'on se «bat», ça nous rassure. En se disant «contre» le cancer, on a l'impression d'avoir du pouvoir sur l'issue de la maladie. Ce n'est pas le cas.

Le cancer, à la base, est un dérèglement cellulaire. Une cellule, plutôt que de mourir, se multiplie à l'infini. Le cancer en résulte, le plus souvent par tumeur interposée. On ignore ce qui pousse cette cellule à devenir folle et à causer le cancer. On a quelques certitudes: fumer est une façon de jouer à la roulette russe avec le crabe, par exemple. L'exposition à l'amiante cause une forme rare de cancer du poumon. Mais c'est à peu près tout. Pour le reste, nous sommes dans les hypothèses.

Bien sûr, il y a des suspects. La pollution, plusieurs produits toxiques qui s'infiltrent dans notre organisme et les ondes de toutes sortes, par exemple. Mais il y a 2000 ans, les hommes et les femmes mouraient déjà du cancer, avant l'avènement des BPC, du smog et du téléphone portable. Le crabe est en nous. Il y a, en cela, un mystère qui nous dépasse.

Même mystère dans la guérison. Prenez deux hommes, en tout point pareils: même taille, même âge, même régime alimentaire, même jogging quotidien, même cancer du côlon dépisté au même stade, même traitement de chimio au 5-Fu.

Le premier en mourra.

Le second survivra.

Pourquoi le premier est-il mort alors que le second jogge dans votre rue en écoutant TGIF de Katy Perry dans son iPod? La vérité, c'est qu'on ne sait pas. Tout dépend de l'interaction entre l'organisme et le poison chimiothérapique qu'on lui envoie.

Voilà pourquoi dire de quelqu'un qu'il a «perdu» son combat contre le cancer est non seulement insultant pour ceux qui en crèvent, mais, par-dessus tout, c'est faux. On ne perd pas contre le cancer. On en meurt.

Ah, non, j'oubliais, un petit truc. Ce qui peut - PEUT - aider un patient, parfois, c'est sa forme physique. Un patient en super forme peut recevoir plus de chimiothérapie. Et encore là, on parle d'une différence impossible à quantifier.

Comment? Jack Layton était dans une condition physique exemplaire?

Justement.

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