Si, tenaillé par l'insomnie, j'étais allé lire le site web du Devoir et que j'étais tombé sur la «nouvelle» de la mort de Jean Charest, j'aurais au minimum relayé l'information sur Twitter. Peut-être même que j'aurais écrit une petite réaction à chaud pour mon blogue. J'aurais eu confiance: c'est Le Devoir. Je ne me serais pas méfié.

C'est la grande leçon du «scoop» annoncé, dans la nuit de lundi à hier à la une du site ledevoir.com: il faut se méfier.

Pas du Devoir. De l'époque.

À une autre époque, si le New York Times parlait de quelque chose, la «chose» en question était réputée être «vraie». Façon de dire que si c'était écrit dans un quotidien sérieux, on pouvait raisonnablement croire à la véracité d'une information.

Puis, le web est arrivé. Une invention absolument formidable, malgré ses travers, un actif pour la grande marche de l'humanité vers des lendemains meilleurs. Mais, en même temps que les pourriels promettant d'allonger l'appendice sexuel mâle, une autre tare est apparue: le canular distribué par courriel.

Aujourd'hui, on fait attention. La plupart d'entre nous sont «éduqués» aux dangers des canulars qui tombent sur nos messageries. Parce que ça fait plus de 15 ans que le web est dans nos vies. On a appris à se méfier.

Une caricature légendaire publiée en 1993 dans le magazine The New Yorker traduit parfaitement comment, à l'ère numérique, il faut à peu près toujours se méfier. Elle montre un chien, assis devant son clavier, qui dit à un autre chien: «Sur l'internet, personne ne sait que tu es un chien.»

On a appris à se méfier du type qui, sur un blogue à fond noir écrit en lettres jaunes, raconte des histoires absolument extraordinaires, que les grands médias «censurent»: on sait que ce qui est trop beau pour être vrai ne l'est probablement pas.

Avec Twitter, incubateur de contenu viral par excellence, est venu un autre canular: la «mort» d'une célébrité. À grand renfort de «retweet», on peut faire «mourir» quelqu'un qui est pourtant bien vivant, plus vite que ne se propage le virus de l'Ebola.

Dans ce tsunami de faussetés et de canulars numériques, la vitrine web d'un média sérieux offre quand même une certaine garantie: on peut raisonnablement croire que ce qu'on y trouve a été vérifié par des journalistes. Les erreurs sont possibles, bien sûr. Mais on sait que si le site web du New York Times parle d'un truc, le truc est fort probablement vrai.

L'annonce de la «mort» de M. Charest sur le site du Devoir, et celle de Barack Obama sur celui de FOX News cet été, amorcent une autre phase de l'âge de la méfiance sur le web. Elle touche les médias «sérieux», susceptibles d'être la cible de vandales électroniques.

Une ère où il faut développer de nouveaux réflexes. Y compris celui de se méfier si, en pleine nuit, un média est le seul à annoncer une nouvelle absolument époustouflante. Y compris celui d'aller voir ailleurs, si d'autres médias ont l'info, s'ils citent d'autres sources corroborant une nouvelle. Y compris celui d'aller vérifier les comptes Twitter de journalistes, juste au cas...

Cette nouvelle ère nous force à inventer une nouvelle grammaire pour «décoder» l'information, même celle avec un grand I.

Il s'en trouvera pour dire que Le Devoir a péché dans cette affaire, qu'il aurait dû se méfier des attaques de pirates. Je ne veux pas tomber là-dedans: n'importe quel média aurait pu se faire pincer comme nos collègues de la rue De Bleury. Si les serveurs du Pentagone peuvent être compromis, il n'y a pas de risque zéro pour les sites de journaux.

C'est une leçon pour nous tous: une bonne équipe de sécurité informatique, c'est aussi capital que de compter sur une bonne équipe de journalistes, pour un média, au XXIe siècle.