Dimanche, le ministre des Transports, Sam Hamad, a dit ceci, en réagissant à la chute d'un «paralume», une poutre de 25 tonnes, sur l'autoroute Ville-Marie: «Toutes les routes qui sont ouvertes sont sécuritaires. Il n'y a aucun compromis avec la sécurité au Québec.»    

Or, lundi, le ministère de M. Hamad a finalement rendu publics des rapports d'inspections faites dans le tunnel au cours des dernières années. Mon collègue André Noël a décortiqué celui de 2008, qui porte précisément sur les paralumes. Et qu'apprend-on? Que ces paralumes rendaient le tunnel dangereux.

Je cite le rapport de SNC-Lavalin: «L'état actuel des paralumes en béton est douteux et nous recommandons, à très court terme, un relevé des dommages ainsi qu'une analyse structurale pour l'ensemble de ces éléments... On peut donc considérer l'état général [du tunnel] comme étant critique quant à l'aspect sécurité des usagers.»

Si vous vous demandiez pourquoi Québec refusait de rendre publics, dimanche et lundi jusqu'en fin d'après-midi, ces fameux rapports d'inspection du tunnel Ville-Marie, ne cherchez pas plus loin. C'est parce que ces rapports sont explicites. Ils contredisent la version Disney colportée par Sam Hamad. Deux scénarios sont donc devant nous.

Le premier: Sam Hamad a menti aux Québécois, dimanche, dans son point de presse.

Le second: Sam Hamad a rassuré les Québécois sans avoir lu le rapport de SNC-Lavalin.

Peu importe le scénario, Sam Hamad s'est comporté honteusement dimanche.

Je note au passage que le ministère des Transports refuse de rendre publics les rapports d'inspection des infrastructures routières de la province, sous divers prétextes. Impossible de croire le MTQ: si on nous cache ces rapports, c'est parce que leur divulgation serait politiquement explosive. Et inquiétante pour les automobilistes.

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Sam Hamad n'a pas le droit de «bullshiter» les Québécois à propos de la sécurité générale du réseau et des rapports d'inspection de l'autoroute Ville-Marie en particulier. Mais je ne veux pas non plus l'accabler pour la dégradation des viaducs, des tunnels, des ponts et des échangeurs sur lesquels il trône. Des infrastructures semblables, ça se néglige pendant des décennies.

Le Parti québécois peut bien critiquer - c'est son job d'opposition officielle -, il reste qu'il a été au pouvoir de 1994 à 2003. Dans la vie d'un viaduc, d'un tunnel, d'un pont et d'un échangeur, cette décennie de pouvoir péquiste, c'est comme si c'était hier. Jacques Parizeau, Lucien Bouchard et Bernard Landry sont demandés à la réception...

Quand on y pense, il n'y a rien de plus facile que de négliger d'entretenir un viaduc, un tunnel, un pont et un échangeur. C'est une négligence invisible, dans l'immédiat. Dans la vie d'un gouvernement, c'est l'urgence qui prime: les urgences, les listes d'attente en chirurgie, le bulletin chiffré (ou pas).

Ottawa a aussi sa part de responsabilité. Dans notre système fiscal, 50% de nos taxes et impôts vont au fédéral, un ordre de gouvernement très éloigné des services qui touchent directement les citoyens: santé, éducation et... routes. Ottawa fait sa contribution dans ces secteurs, c'est vrai. Mais souvent selon ses propres conditions.

En 1993, quand Jean Chrétien est arrivé au pouvoir, les finances d'Ottawa étaient lamentables. L'année suivante, Ottawa a tout simplement décidé de transférer moins d'argent aux provinces pour les programmes sociaux et de santé. Les provinces, elles, ont dû porter l'odieux d'éliminer des postes d'infirmières, de fusionner des hôpitaux et de forcer des municipalités à s'occuper désormais d'un tas d'infrastructures, comme certaines routes.

Il ne faut pas être un Prix Nobel d'économie pour deviner que, dans les premières années de l'ère Chrétien, les provinces ont probablement négligé un ou deux viaducs, négligence invisible quand on est forcé de fermer des hôpitaux. Paul Martin, lui, a été considéré comme un génie des finances publiques.

Au Québec, ce débat sur la trop grande part de taxes et impôts perçue par un gouvernement très éloigné des services directs n'existe pas, pour la raison suivante: quiconque soulève cette question passe pour un méchant séparatiste cherchant querelle à ce beau et grand pays. Alors que ça n'a rien à voir: on parle ici d'allouer le fric là où sont les besoins.

C'est pourtant un gouvernement fédéraliste qui est le mieux placé pour le faire, ce débat. Mais Jean Charest refuse de se battre contre Ottawa (sauf sur la question écologique). Pendant ce temps, l'éducation populaire sur le déséquilibre fiscal ne se fait pas. Avec pour conséquence que le gouvernement du Québec est le seul qui se fait lancer des roches quand un morceau de béton passe près de tuer quelqu'un. Tant pis pour M. Charest.

Pourtant, se battre contre Ottawa est payant politiquement. Même pour un premier ministre fédéraliste: voyez Danny Williams, l'ex-PM de Terre-Neuve. Il est vrai que M. Williams, lui, ne nourrissait peut-être pas l'ambition de devenir premier ministre du Canada.

The Gazette constatait récemment que la portion fédérale du pont Mercier est mieux entretenue que sa portion provinciale. Quand on sait tout ce qu'Ottawa perçoit en taxes et impôts, je m'excuse, mais c'est bien un foutu minimum. Reste la question du pont Champlain, une responsabilité totalement fédérale: Show us the money!

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Dimanche, Sam Hamad a fait un microscopique point de presse. Hier, il était introuvable. C'est une porte-parole, Caroline Larose, qu'on a envoyée au bâton. Un Martien aurait pu croire que Caroline Larose est la ministre des Transports du Québec, tant on la voyait partout. Elle n'est pas ministre des Transports.

Quelqu'un devrait le signaler à Sam Hamad.