C'est un petit livre que vous lirez en un week-end, un recueil de nouvelles inclassable qui prétend faire la chronique de la loi et de l'ordre dans l'Allemagne moderne, mais qui, en fait, frôle l'universel: Crimes parle des profondeurs de l'âme humaine. Ferdinand von Schirach, l'auteur, est un avocat de la défense modérément connu en Allemagne. Avec ce premier livre, on peut le soupçonner d'être un écrivain de bon calibre...

Onze nouvelles, onze personnes aux prises avec la justice. Elles ont toutes recours au service du narrateur, un avocat de la défense qui n'est jamais nommé, le double de von Schirach.

La prose de von Schirach est minimaliste; froide, même. Ce qui n'entame en rien le pouvoir d'évocation des histoires de Crimes (Verbrechen, dans sa version originale) qui, dit-on, sont inspirées de faits vécus. Insérez ici le cliché selon lequel la fiction dépasse parfois la réalité...

Isabelle Richer, la reporter de Radio-Canada spécialisée dans la couverture du Palais de justice, a su que j'avais aimé ce bouquin et m'a envoyé cette définition de Crimes «Le recueil de Ferdinand von Schirach est un monument discret. Toute la misère, la maladie mentale, la détresse y sont concentrées. Et ces récits sont faits avec une délicatesse dont peu d'avocats sont dotés. L'avocat ne se met jamais à l'avant-plan, ne se célèbre pas, il expose les travers et les tourments des humains. J'ai été éblouie par cette écriture économe, intelligente et utile.» Comme toujours, Isabelle sait trouver les mots justes...

Le tour de force de von Schirach, c'est de rendre sympathiques des gens qui, si on se fie uniquement aux comptes rendus des procès publiés dans les journaux, ne le sont résolument pas. Ça commence avec l'histoire de ce médecin, le Dr Fänher qui, par un après-midi de jardinage en apparence anodin, assassine sa femme à coups de hache.

On ne peut pas être d'accord, évidemment, avec un homme qui tue sa femme. Jamais. Personne ne mérite cela. Mais en dix petites pages, le portrait tracé par von Schirach de cette pauvre Ingrid, une chipie patentée, suffit à nous faire comprendre pourquoi, quelque part, au fin fond de ce médecin, un ressort a pu se briser...

L'histoire la plus pathétique (Le violoncelle) concerne celle des deux enfants d'un magnat de la construction, un homme riche, veuf et impitoyable au travail et dans la famille. Le genre d'homme qui est économe de ses sous et de son amour, le genre d'homme qui croit qu'à chaque seconde de SA vie, les enfants doivent être testés, privés, bousculés il faut bien les préparer à cette jungle qu'est la vie.

La soeur finit par tuer son frère. Un meurtre de compassion, après un accident de la route qui laisse le jeune homme en charpie et amnésique. On sort de cette histoire-là amoché, et pas nécessairement parce que le père, qui se découvre un coeur, finit par se flinguer, non. On en sort amoché parce que la nouvelle pose la question du meurtre par amour  formule paradoxale, je sais  qui pulvérise la notion de certitude morale.

On sent dans la plume de von Schirach un grand respect POUR son métier, celui d'avocat de la défense. Mais on sent aussi une confiance absolue dans la justice, cette bête imparfaite, résumée à merveille par cette formule, dans la nouvelle Le changement d'heure, à propos d'un homme (faussement) accusé du meurtre d'une jeune prostituée «Un fonctionnaire de police a dit un jour à un juge de la Cour fédérale de justice que les défenseurs n'étaient que les freins du char de la justice. Le juge répondit qu'un char sans freins n'est bon à rien. Un procès pénal ne fonctionne qu'à l'intérieur de ce jeu de forces.»

Sans épanchements, la plume de von Schirach laisse toute la place aux drames humains qui se cachent, parfois dans le coeur de ceux à qui la justice passe les menottes. Ces drames ne sauraient justifier tous les crimes commis dans nos villes et campagnes, mais, parfois, ils en expliquent de grands pans. On a envie de brailler, dans Quelle chance!, devant le récit de l'exilée d'un génocide échouée en Allemagne, forcée de se prostituer, un brin de fille poquée pour qui son amoureux, ex-itinérant, dépècera un cadavre.

La meilleure nouvelle, von Schirach l'a gardée pour la fin. L'Éthiopien raconte l'odyssée d'un type, Michalka, jamais tout à fait à sa place, toujours dans de sales draps, qui s'excuse presque de commettre un hold-up. Le type se ramasse en Éthiopie, où il est enfin à sa place son savoir-faire permet à tout un village de se sortir de la misère. Il est adopté par les villageois. Il tombe en amour. Puis, il est déporté vers l'Allemagne, pour cause de situation irrégulière...

Mais tout finit bien, comme dans la vie, parfois. Et l'ultime nouvelle de Crimes, elle, prend fin sur ces mots, tout en retenue «Entre-temps, Tiru a eu un frère et une soeur. Parfois, Michalka me téléphone. Il dit toujours qu'il est heureux».