C'est la voix qui m'a chamboulé. Jack Layton a une voix forte, une voix qui porte. La voix d'un homme habitué à la joute politique. Hier, il avait la voix affaiblie, hésitante. La voix de mon père, vers la fin.

Ça ne veut pas dire que c'est la fin pour Jack Layton. Ça veut simplement dire que le chef du NPD, un des politiciens préférés des Canadiens, est affaibli par le crabe ou les traitements. Ou les deux.

Il a promis de se battre. Il a promis de revenir. Comment a-t-il dit ça, déjà? C'était une jolie formule...

Ah, oui: «Je vaincrai ce nouveau cancer et je serai de retour à la Chambre des communes pour défendre les valeurs et les priorités des familles.»

Le hic, c'est que, au-delà de ce qu'a déclaré M. Layton, c'est le non-dit qui hurlait, en filigrane de cette conférence de presse. Il n'a pas dit la nature de ce second cancer qui le frappe. En janvier 2010, le député de Toronto-Danforth n'avait pas niaisé avec le puck: cancer de la prostate, avait-il annoncé.

Cette fois, pas un mot. Pas de période de questions.

Impossible de ne pas penser que si M. Layton avait été si transparent, en 2010, c'est que le cancer de la prostate est relativement «facile» à juguler. Son mutisme d'hier annonce probablement une saloperie autrement plus virulente.

Il a promis de se battre. C'est ce que disent tous les malades, n'est-ce pas? C'est ce que mon père, votre frère, votre mère, votre voisin ont dit, une fois le choc passé, quand ils ont appris que le crabe grandissait en eux. C'est la réaction universelle. C'est ce que je dirai quand ça m'arrivera.

Le hic, c'est que la bataille contre le cancer est une bataille entre la science et les cellules détraquées qui se multiplient dans le corps du malade. Ça n'a rien à voir avec le malade et sa volonté de se battre.

Parfois, le traitement fonctionne. Parfois, il ne fonctionne pas. C'est plate, c'est brutal, mais c'est quand même la réalité.

Qu'importe. L'illusion qu'on peut «combattre» le crabe, c'est tout ce qui nous sépare de la folie quand il est en nous.

***

Il a promis de revenir, dès septembre, à la reprise des travaux parlementaires. Dans moins de deux mois. C'est tôt. C'est épouvantablement tôt pour quelqu'un qui va subir les traitements, épuisants, qu'on administre aux cancéreux.

Devant cette promesse de revenir, j'ai éprouvé un malaise immense. Jack Layton a 61 ans. Depuis un an et demi, il a combattu un cancer de la prostate, il s'est tapé une campagne électorale après une (mystérieuse) fracture de la hanche. Et voilà que le crabe le frappe, encore.

C'est beaucoup. C'est énorme.

Personne ne doute de la combativité de Jack Layton dans la lutte pour une société plus juste. Personne ne doute de son courage personnel.

C'est pourquoi personne n'aurait perdu d'estime pour ce bon Jack s'il avait annoncé, hier, qu'il se retirait de la vie politique pour se concentrer sur sa maladie et sur les années qu'il lui reste. S'il était chef d'un gouvernement en guerre ou en crise, sa décision de rester témoignerait d'un considérable sacrifice personnel, pour le bien de son pays. Ce n'est pas le cas. M. Layton est le chef de l'opposition dans un pays qui n'est ni en guerre ni en crise.

Il a quand même choisi de rester: Jack Layton est lui aussi, même malade, même atrocement affaibli, un junkie, accro à cette vieille drogue dure qu'est la politique.

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Le journaliste en moi a envie de dire, avec toute la délicatesse prescrite par les circonstances, que les Canadiens ont le droit de savoir de quel mal souffre Jack Layton. Chef de l'opposition officielle, ce n'est pas un job ordinaire.

Défier et talonner le gouvernement au nom des citoyens de ce pays n'est en fait pas un job, c'est une fonction.

À ce titre, nous avons le droit de connaître l'état de santé réel du chef de l'opposition. Nous avons le droit de savoir quand Jack Layton pourra défier et talonner le gouvernement, le forcer à rendre des comptes, à expliquer ses décisions, ses erreurs.

Mais, pour l'instant, au diable le droit du public à l'information. J'ai surtout envie de dire ceci: prenez soin de vous, monsieur Layton.