Montréal, je t'adore. Oui, je t'adore, en été, quand l'avenue Laurier est transformée en sens unique pour faire plaisir au BIXI, quand la rue Sainte-Catherine est piétonnisée pour vendre plus de bière dans le Village, quand une opération à ciel ouvert rue Saint-Urbain fait gicler la circulation automobile tout autour, créant autant de caillots indélogeables composés de chars immobilisés.

Un jour, Montréal, je te le dis, nous nous rappellerons avec honte l'époque où les bazous pouvaient rouler avec fluidité dans les rues Saint-Denis, Papineau, Sainte-Catherine, Saint-Urbain, Saint-Laurent. Une époque où il était normal de rouler de Rosemont à la Place des Arts en 20 minutes!

Les entends-tu beugler, Montréal? Les automobilistes, je veux dire. C'est beau à entendre, l'âge d'or du bazou qui agonise.

Tiens, hier, dans La Presse, cette dame, Marie-Claude Michaud, qui a signé une lettre dénonçant la piétonnisation estivale de la rue Sainte-Catherine. Elle y dénonce l'impact du reflux automobile sur la rue Ontario ainsi que la congestion les rues perpendiculaires. Je la cite: «Lundi, 12h30, ma petite rue Montcalm, entre Sherbrooke et Ontario, est totalement bloquée depuis plus d'une heure! Et Ontario aussi, bien entendu. Je dois sortir rencontrer un client à Boucherville, combien de temps dois-je prévoir pour sortir de mon espace de stationnement sur la rue et atteindre le pont qui est à moins d'un kilomètre de chez moi? Une heure?»

Décortiquons la lettre de Mme Michaud, pour bien saisir sa dépendance malsaine à un mode de transport unique.

Elle évoque «un client à Boucherville». Quelle drôle d'idée! N'y a-t-il pas suffisamment de «clients» à Montréal pour qu'elle puisse gagner sa vie? C'est cette mentalité de croissance constante qui mine la planète. C'est la faute de femmes comme Mme Michaud, qui développent des marchés dans des contrées éloignées comme Boucherville.

D'ailleurs, on se demande pourquoi Mme Michaud tient tellement à aller à Boucherville en voiture. Elle pourrait y aller en métro, puis en autobus. Ou en canot. Oui, en canot.

On oublie souvent que le moyen le plus durable de traverser le fleuve pour aller à Longueuil, c'est le canot. Si elle avait un coeur, Mme Michaud vendrait son auto, qu'elle remplacerait par un canot. Elle pourrait se gosser un chariot avec des objets puisés dans les bacs de recyclage de ses voisins pour que son BIXI puisse tirer le canot jusqu'au fleuve. De là, elle pourrait aller visiter son fameux client du 450 la conscience tranquille!

Ce qui me donne une idée, Montréal. Après BIXI, innovons avec le Canoxi! Oui, le Canoxi: un service de canots en libre-service, avec des stations disséminées tout le long des deux rives du fleuve. Comme ça, d'un coup de pagaie, les citoyens du 514 et du 450 ne seraient plus prisonniers des ponts Mercier et Champlain. Le Canoxi permettrait de ne pas remplacer ces ponts désuets à coups de milliards. D'ailleurs, disons les choses franchement: au XXIe siècle, le pont lui-même est une technologie désuète.

Bon, il y a les victimes collatérales. Je parle de ces Montréalais qui vivaient autrefois dans des rues tranquilles, aujourd'hui envahies par les barbares à quatre roues qui tentent sournoisement de contourner les entraves à la circulation.

Un jour, on érigera des monuments aux résidants des rues comme Chambord et Montcalm, comme pour les soldats de la guerre de 1939-1945. Dans l'intervalle, c'est dommage, ils sont fâchés, fâchés noir.

Mais ils ont tort, tu le sais comme moi.

Ils devraient s'en prendre aux automobilistes eux-mêmes. Je crois, Montréal, que l'heure est venue de permettre aux citoyens de lancer des pierres aux chars qui polluent leur rue et leur vie.

Tu m'as bien lu. Des pierres.

Rien de compliqué, un petit règlement municipal fera l'affaire, du genre: «Tout véhicule immobilisé sur la voie publique plus de deux minutes peut légitimement être vandalisé par un adulte domicilié à Montréal.»

On ajoutera un alinéa qui interdit de viser les vitres: on ne veut pas blesser les barbares, qui sont des quasi-humains, après tout. On veut juste leur faire peur.

On sait vivre, quand même.