C'est bizarre de marcher en «bottes à cuisses», ces culottes imperméables à bottes intégrées. Vous sentez la pression, la froideur de l'eau. Et de l'eau, sur la 41e Avenue, à Saint-Blaise, ce n'est pas ce qui manque. J'en avais aux genoux.

Cette rue, Stéphane Lessard y a passé les 24 premières années de sa vie, avec son père Lucien et sa mère Jacqueline. La maison de ses parents, qu'il appelle «son père» et «sa mère», comme dans le temps du noir et blanc, c'est aussi, dans ses tripes, la sienne.

«Il va falloir mettre le bull dedans», constate Stéphane, 44 ans, qui s'y connaît: il travaille dans la construction.

Stéphane entre dans la maison où il a grandi par la fenêtre, m'ouvre la porte. La lumière de la lampe de poche montre les efforts frénétiques faits par Stéphane, après Pâques, pour sauver les meubles, littéralement.

«On a chimé tout ce qu'on pouvait», dit-il, sans avoir à m'expliquer ce que «chimer» signifie: tout, absolument tout le mobilier a été monté sur des pilotis de fortune. L'opération a fonctionné: les beaux meubles de Jacqueline sont rescapés.

La maison des Lessard, elle, est une perte totale. Un classique, ici, en Montérégie, sur les bords et parfois pas tellement sur les bords de la rivière Richelieu et de la baie Missisquoi, dans les pires inondations de mémoire d'homme.

* * *

Les gens ont la mèche courte. Un mois à se battre contre l'eau: ça tue.

Rue McKimmie, à Venise-en-Québec, le pick-up de Daniel Lefebvre roule dans deux pieds d'eau. Nous suivons une loutre ou un castor quand, au loin, je vois un type qui sort de sa maison. Il gesticule en regardant le véhicule de Daniel, qui baisse sa fenêtre... Pour entendre le type l'engueuler.

«Les gens sont stressés, dit Daniel. Les voitures font des vagues, qui viennent frapper leurs maisons. C'est pour ça que je roule lentement...»

Résister à l'assaut de l'eau. C'est, depuis un mois, le quotidien de milliers de Montérégiens. On bâtit des digues, à coups de sacs de sable. On installe des pompes. On croise les doigts. On espère que l'eau ne percera pas les défenses.

* * *

Le plus dur, c'est le niaisage, vous diront les sinistrés. Voir clair dans les programmes d'indemnisation gouvernementaux. Obtenir des réponses précises de la mairie locale. Ou gérer l'absurde, comme Yves Benoit et Joanne Daigle, propriétaires d'une petite résidence pour retraités, à Venise-en-Québec...

Imaginez: leur entreprise est assurée contre les inondations. La manne! Sauf que non: l'assureur ne couvre pas les premiers 25 000$ de dommages. Ce n'est pas ce à quoi ils pensaient, depuis trois semaines, en montant des digues, même la nuit, pour protéger le bâtiment.

Sauf qu'il n'y a pas eu de dommages. Les défenses ont résisté. Mais il y a eu des coûts. Comme le déménagement, à l'hôtel, pendant une semaine, de six vieux dont ils s'occupent. Comme le matériel pour faire des digues.

Pas une cenne pour ça. Parce qu'il n'y a pas de dommages!

Vous comprenez? En «sauvant» leur immeuble de l'assaut des flots, Yves et Joanne ont probablement fait épargner des dizaines de milliers de dollars à leur assureur. Qui les remercie en leur donnant exactement zéro dollar, la belle crosse classique de l'assurance...

Stéphane, lui, préfère voir le beau côté des choses. Oui, il y a des ratés dans le système, dit-il. Oui, l'armée aurait pu être mieux aiguillée. Mais 72 heures après en avoir fait la demande, son père Lucien avait reçu une avance de 11 000$ de l'État, en vue de dépenses à venir, dans la maison.

«C'est excellent en Saint-Crime!» s'exclame-t-il.

En revenant vers le camion de Stéphane, de l'eau aux chevilles, Stéphane me racontait ses dernières semaines, tous les coups de pouce qu'il a donnés à ses parents, à leurs voisins, en bottes à cuisses, pour sauver les meubles quand ce n'était pas carrément des maisons.

Je me suis pris à penser que, dans ce désastre un peu oublié - pourquoi, au fait? - des inondations du printemps 2011, Stéphane Lessard incarne un autre classique: celui du fils, de la voisine, du cousin, de l'ami (e) qui débarque, quand tout va mal, quand tout va très, très mal, pour vous donner le coup de main qui vous redonne foi en la nature humaine...