En tant que valeureux gauchiste, je suis bien prêt à vivre dans la fiction selon laquelle il faut absolument utiliser l'argent des taxes pour bâtir un aréna qui sert d'abord et avant tout à attirer à Québec une entreprise richissime qui paie ses employés en moyenne 2,4 millions de dollars par année.

Si on vivait dans un monde normal, les équipes de sport professionnel paieraient elles-mêmes leurs amphithéâtres. Elles en ont largement les moyens. La LNH a des revenus de 3 milliards par année.

Mais on ne vit pas dans un monde normal. On vit dans un monde où l'argent public finance des amphithéâtres pour le sport professionnel.

On vit dans un monde où l'industrie du sport-spectacle a magistralement joué ses cartes, utilisant la passion des gens pour le hockey, le basketball, le baseball et le football pour pousser les élus à lui faire des cadeaux, sous forme de subventions directes et de congés fiscaux.

Dans ce monde-là, l'équipe la plus riche du baseball majeur, les Yankees, a reçu de la ville de New York 362 millions de dollars pour son nouveau stade. Revenus des Yankees: 441 millions en 2009. Masse salariale en 2010: 206 millions.

En tant que valeureux gauchiste qui croit à la présence de l'État dans l'économie, je me force à voir les enjeux qui dépassent le sport professionnel quand l'État québécois promet de payer 75% de la facture totale du Colisée II.

Par exemple: le hockey fait partie de notre culture; Québec est la grande ville de l'est du Québec; cet aréna servira à autre chose qu'au sport. Tout ça. J'essaie de me convaincre que la fiction a une base dans le réel.

Mais quand le maire de Québec se prend pour le PDG d'une entreprise privée à capital fermé et qu'il mandate un autre homme d'affaires pour évaluer secrètement quelle entreprise privée devrait gérer l'aréna payé par les taxes, là, je commence à tiquer.

Je tique, oui, mais je marche encore dans cette fiction d'aréna pour joueurs de hockey millionnaires financé par mes taxes. On n'en est pas à une fable près.

Mais quand le maire de Québec demande à l'État, de toute urgence, une loi d'exception pour couvrir ce projet d'un condom juridique, pour s'assurer que rien ni personne ne pourra le contester devant les tribunaux, là, désolé, je ne patine plus.

Quand je vois le maire de Québec craindre la réaction de Gary Bettman, commissaire de la LNH, si jamais quelqu'un s'avise de contester devant les tribunaux le projet du Colisée II - comme les cadeaux faits aux Coyotes par les élus de Phoenix sont contestés -, là, désolé, je ne patine plus.

Comme citoyen du Québec, je peux savoir que Construction VDO de L'Isle-Verte a obtenu un contrat pour des travaux dans une école de la commission scolaire du Fleuve-et-des-Lacs (85 210$). Je peux savoir que Construction Dumais&Pelletier, de Saint-Pascal, est arrivé deuxième dans l'appel d'offres, à 85 725$. Je peux savoir cela. C'est dans le Système électronique d'appels d'offres (seao.ca), qui centralise les contrats accordés par les organismes publics.

Mais comme citoyen du Québec, pour savoir si l'offre de Quebecor était bel et bien la meilleure reçue par la Ville de Québec pour gérer l'amphithéâtre qui recevra 200 millions de fonds provinciaux, je dois me fier à... Agnès Maltais!

En effet, la députée péquiste, qui va parrainer le projet de loi privé qui permettrait de soustraire le deal de Régis Labeaume à toute contestation judiciaire, a vu les documents.

Ces documents, elle ne peut pas nous les montrer, à nous, les tatas qui allons payer 200 millions pour financer une partie de l'aréna. Mais elle nous jure que tout est en règle, que le processus a respecté toutes les lois.

Je regarde toutes ces compromissions. Et ce qui n'est pas une fiction, c'est qu'on va baisser collectivement nos culottes pour plaire à Call-me-Gary et à sa LNH milliardaire.

Y a-t-il une limite à notre désir de baisser nos culottes?

Apparemment, non, il n'y en a pas.