Jerry Iwanus est de cette race d'hommes qui ont toujours un sourire étampé dans le visage et dont l'enthousiasme est immaculé, jamais cerné par la moindre trace de cynisme. Jerry est un des hommes les plus gentils qu'il m'ait été donné de croiser.

Quand Jerry parle de quelqu'un, que la personne en question soit présente ou pas, c'est immanquable, il dit des trucs comme: «Un être humain exceptionnel», «Une femme formidable», «Personne ne lui arrive à la cheville»...

Après que la maison se fut vidée de la dizaine d'amis venus souper avec le «journalist from Quebec», qu'il a accueilli chez lui pendant deux jours, Jerry me regarde, hochant de la tête, et dit: «T'as vu comme nous sommes chanceux? Tous ces amis? Nous sommes riches!»

Jerry Iwanus, 52 ans, ex-maire de Bawlf, fan des Blue Bombers de Winnipeg (sa ville natale), est ce genre d'homme, le genre d'homme qui n'est pas conservateur mais qui aide le député provincial, conservateur, «parce que c'est un politicien admirable».

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Ce midi-là, Jerry roulait tranquillement sur la Highway 13, tapis de bitume rectiligne dans les Prairies. Autour de nous, les champs qui composent un des plus prolifiques paniers de céréales de la planète. Dans la Hyundai, CKUA, la chaîne préférée de Jerry. Au loin, Camrose, la «grosse» ville de la région.

Jerry m'amenait rencontrer Kevin Sorenson, le député conservateur de Crowfoot. Nous avons croisé une rare affiche du NPD: «Ellen Parker se présente encore, elle ne lâche jamais», a souri Jerry.

À l'orée de Camrose, la plaine a cédé la place au Tim Hortons, à la station-service UFA, aux garages Ford et John Deere. Je ne sais plus pourquoi, j'ai évoqué les sables bitumineux, ce pétrole exploité dans le nord de l'Alberta, dans le fouillis écologique que l'on sait...

Et là, il s'est produit un truc bizarre.

Jerry s'est fâché. Ses mains ont serré le volant, il a grincé des dents:

«Je suis tellement tanné! Encore l'autre jour, l'Union européenne a décrété que notre pétrole, il est sale. Eh bien, sais-tu quoi? ILS PEUVENT...»

La Presse étant un journal familial, je vais compléter la phrase en disant pudiquement que Jerry a évoqué cette expression anglaise qui consiste à inviter autrui à embrasser votre popotin...

«..."Les sables bitumineux ont mis un maudit paquet de pain sur un maudit paquet de tables, en Alberta, a poursuivi Jerry. Et si les Américains veulent se fier aux Saoudiens plutôt qu'à nous, pour leur pétrole, BE MY GUEST!»

Sur ce, nous sommes arrivés au local électoral de M. Sorenson.

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Voilà, c'est ce que je voulais vous dire: l'Alberta en a assez de se faire regarder de haut parce qu'elle exploite son pétrole. L'énergie, c'est LE gros enjeu politique, ici, celui qui domine tous les autres. L'énergie est à l'Alberta ce que la «question nationale» est au Québec. Un bâton de dynamite politique dont la mèche est liée au coeur de la population. Pas à sa tête.

Les Albertains en ont assez des éditos du New York Times, des taloches de Jack Layton, des sorties de Jean Charest, des discours apocalyptiques de Greenpeace, à propos de leur pétrole «sale». Il y a une once de chauvinisme, bien sûr. Mais l'énergie, c'est 30% du PIB albertain. C'est 136 000 jobs. Le pétrole sale, c'est 3 milliards par année dans les coffres de la province.

«Vous voulez savoir pourquoi les conservateurs sont si forts en Alberta? demande le communicateur Stephen Carter, qui a travaillé pour des politiciens aussi variés que Joe Clark (Parti progressiste-conservateur), Danielle Smith (Wildrose Alliance) et Naheed Nenshi (nouveau maire de Calgary). Parce que c'est le seul parti qui dit les bons mots au sujet des sables bitumineux, qui reconnaît son importance pour notre économie, pour celle du pays.»

De la grogne à la calculatrice, il n'y a qu'un pas. Les contribuables albertains ont versé 102 milliards au trésor fédéral, depuis six ans. L'Alberta est un contributeur net à la péréquation qui redistribue la richesse canadienne aux provinces «pauvres». Comme le Québec. Qui a reçu 8 milliards, en péréquation, l'an dernier, 10% de son budget.

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Dans le local électoral du PC, partisans jeunes et vieux, petits gâteaux, affiches bleues de toutes les tailles, en piles. Jerry me présente à tous ceux qu'il connaît. Un type qui tient une pancarte KEVIN SORENSON est curieux de savoir ce que je fais là, avec mon calepin, à prendre des notes. Il s'appelle Dave Solverson. Producteur de boeuf.

- Qu'est-ce que tu fais? m'a demandé le cow-boy.

- Je suis journaliste.

- D'où tu viens?

- Du Québec.

- Ah, t'es venu voir la place qui vous envoie de l'argent.

Ce n'était pas dit gentiment...

Après avoir jasé avec Kevin Sorenson de politique québécoise - oui, je crois que Thomas Mulcair va gagner; non, je ne pense pas que Larry Smith va gagner -, Jerry m'a attrapé le bras, il est temps de partir, m'a-t-il dit en m'entraînant vers la porte...

Dans l'entrée, Jerry Iwanus a fait demi-tour, a demandé au député Sorenson s'il pouvait prendre une affiche, pour mettre devant sa maison. Un bénévole s'est prestement exécuté.

J'ai suivi Jerry qui, pancarte sous le bras, avait retrouvé sa bonne humeur.

«Kevin est un bon député, m'a-t-il dit en entrant dans la Hyundai. Je ne suis pas conservateur, mais il va avoir mon vote. Personne ne travaille plus fort que lui.»