Il fut une époque, jeune lecteur, une époque que tu ne connais probablement pas, où le monde était divisé en deux. Toute la période 1945-1989, en fait. On appelait cela la guerre froide. Le monde, donc, était divisé en deux blocs: l'Est et l'Ouest. Communisme et liberté. É.-U. et URSS.

Comment?

Tu me demandes ce que ça veut dire, URSS?

Eh, misère...

Mais non, jeune lecteur, ne t'empourpre pas, je ne veux pas être condescendant: je vieillis, mon irritation a plus à voir avec le passage des années, de mes années, qu'avec ton ignorance de l'Histoire. D'ailleurs, tu n'ignores rien, bien sûr, fort de tes compétences transversales, pardonne-moi d'avoir meurtri ton amour-propre avec mon soupir d'exaspération...

Bref, l'URSS était une dictature plutôt opaque. Le Kremlin, le centre de son pouvoir, abritait le Politburo du Parti communiste, une sorte de club privé qui gérait le pays sans rendre de comptes à personne. Pour comprendre l'URSS, l'Ouest (c'est nous, ça, c'est l'Occident), avait bien sûr des espions. Mais disons qu'il n'était pas simple de comprendre le Parti communiste.

C'est pour cela qu'existait une discipline providentielle: la kremlinologie. Il s'agissait d'interpréter ce qui se passait dans cette URSS menaçante, à l'aide du peu d'indices dont nous disposions à l'époque. Il s'agissait un peu, beaucoup, comme le dit l'entrée «Kremlinology» dans la version anglaise de Wikipédia, de «lire entre les lignes» pour deviner ce qui se passait à l'intérieur du Parti communiste soviétique.

Un général de l'armée de terre sourit sans arrêt dans un cocktail de l'ambassade de Pologne à Moscou, ambassade où nous avons un espion? Peut-être que les modérés sont en train de gagner du terrain dans le Parti. Ou que l'armée soviétique vient d'inventer un char indestructible. Ou que l'Alaska sera envahi demain...

Iouri Andropov, secrétaire général du PC, n'a pas assisté à la parade militaire annuelle de la place Rouge, en 1983? Peut-être qu'il prépare une purge. Ou l'invasion de l'Alaska. Ou peut-être qu'il y a une crise de leadership à la tête du Parti communiste.

Bref, tout ça pour dire que, pendant 45 ans, la kremlinologie fut un champ d'études fertile. Mais souvent dans le champ! Tenez, Andropov était dans les faits gravement malade, lors de la parade du 21 novembre 1983: il mourra trois mois plus tard. Quant au général de l'armée de terre, il souriait parce que sa maîtresse avait rapporté d'affriolants dessous d'un voyage de shopping à Berlin-Ouest...

Ce qui m'amène à la Ligue nationale de hockey.

J'essaie de déchiffrer les signaux de Bettman à l'égard du Canada et de Québec, et c'est à peu près aussi difficile que d'essayer de comprendre l'état de l'URSS en 1975 à partir d'une photo de Leonid Brejnev qui se gratte l'oreille en lisant La Pravda sur le perron de sa datcha au bord de la mer Noire.

En conférence de presse, à Raleigh, en marge du match des Étoiles, qu'a-t-il dit? (Bettman, pas Brejnev, qui est mort.) Précisant que la LNH ne veut ni déménager une équipe ni élargir ses cadres, il a dit: «Ce n'est pas parce qu'une ville fait construire un aréna qu'elle obtient ensuite une équipe (...) on ne peut pas faire de promesses, ni à Québec ni à Winnipeg.»

Puis, à Hockey Night in Canada, samedi, il a balayé d'un revers de main la suggestion de l'animateur Ron MacLean, qui disait que la LNH devrait capitaliser sur Hamilton: «J'espère que nos amis de Québec et de Winnipeg ne sont pas offusqués, a-t-il dit. Vous voulez les renvoyer plus bas sur la liste. Je voudrais corriger quelque chose qui n'aurait pas dû arriver.»

Bref, il faut un fond de kremlinologie pour suivre Bettman, qui est à la tête de son propre Politburo opaque et indéchiffrable - je parle des 30 proprios de la LNH. Il faut lire entre les lignes à partir d'indices qui peuvent - ou non - signifier quelque chose. Il faut pratiquer la bettmanologie.

Sur Twitter, à propos de Bettman, je me suis obstiné avec Mario Roy, le berger qui a mobilisé ces milliers de Québécois dans la Marche bleue, l'automne dernier, pour réclamer le retour des Nordiques, comme si la LNH était un ministère qu'on peut émouvoir...

M. Roy dit que je suis ignorant, dans ce dossier. Il dit que, quand Bettman parle, il faut savoir «lire entre les lignes». Lui, il sait lire entre les lignes! Comme les kremlinologues savaient, bien sûr, lire entre les lignes...

N'étant pas bettmanologue, il me reste quoi?

Il me reste l'inquiétude de voir des clubs de la LNH utiliser le Colisée Labeaume comme épouvantail, afin d'extorquer aux autorités locales des fonds publics pour leur construire de nouveaux amphithéâtres. C'est ce que les Penguins ont fait, en menaçant de déménager à Kansas City. Chantage réussi, d'ailleurs.