Petite devinette vaguement exotique pour commencer pas sexy du tout (désolé): qu'ont en commun l'Afinitor, l'Avastin, l'Iressa, le Torisel, le Tykerb et le Vidaza?

Non, ce ne sont pas des dieux issus de la mythologie nordique. Ni des clubs de soccer d'ex-républiques soviétiques.

Ce sont des médicaments que vous devriez souhaiter ne jamais avoir à consommer. Ce sont des médicaments prescrits dans le traitement de certains cancers.

En fait, même si vous avez le cancer, vous ne pourrez probablement pas, selon votre mal, avoir accès à ces nouveaux médicaments. Le Conseil du médicament, organisme d'État, ne les a pas mis sur la liste des médicaments payés par l'État.

Chez les oncologues, c'est la consternation. L'hémato-oncologue Normand Blais, du CHUM, a été le premier à sonner l'alarme publiquement, avec une lettre dans La Presse, il y a un mois. Jadis leader canadien en matière d'accès aux médicaments, le Québec traîne la patte, depuis 2005, selon le Dr Blais.

Et c'est pire encore en matière de médicaments anti-cancer: «Le Conseil du médicament, écrit le Dr Blais, refuse presque systématiquement les demandes de nouveaux traitements en oncologie.»

Pour son collègue Denis Soulières, également du CHUM, le Conseil du médicament est tout simplement débranché de la réalité. «Aucun expert en oncologie ne siège au Conseil. Des experts sont consultés, mais rien n'oblige le Conseil à les écouter.»

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En octobre, j'ai pondu une longue série sur la réalité du cancer, telle que vécue au Québec, de nos jours. Constat: la lutte contre le cancer, ici, est honteusement désorganisée, si on la compare aux efforts de la Colombie-Britannique et de l'Ontario.

Dans ces deux provinces, des agences de lutte contre le cancer mènent la bataille, de la prévention de la maladie à l'organisation des soins palliatifs en passant par l'évaluation de l'efficacité des traitements et des médicaments.

Des acteurs comme la Fondation québécoise du cancer et la section Québec de la Société canadienne du cancer veulent que la province troque sa Lada contre une Porsche et se dote d'une agence, calquée sur les modèles ontariens et britanno-colombiens. En vain.

Le modèle de l'agence intégrée, qui agit en commandant en chef des forces enrôlées dans la bataille contre le cancer, produit des résultats. La Colombie-Britannique, par exemple, affiche régulièrement des taux de cancers et de mortalité plus bas que ceux de la moyenne nationale.

Le Québec?

Quand ses statistiques sont jugées suffisamment fiables pour être comparées à celles des autres provinces (ce qui n'est pas toujours le cas), le Québec est souvent en queue de peloton.

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Ce qui irrite le Dr Denis Soulières, c'est que l'expertise québécoise en oncologie est laissée sur la touche, dans le processus de décision des médicaments qui sont payés par le système.

«Il y a une non-reconnaissance, une non-utilisation des centres d'excellence en oncologie, comme le CHUM, désignés par le ministère de la Santé lui-même. Ce ne sont malheureusement pas eux qui, au Québec, font les recommandations pour les traitements, dont les médicaments, pour combattre le cancer ou en atténuer les méfaits.»

C'est pourtant le cas en Colombie-Britannique et en Ontario. Là-bas, ce sont des oncologues qui font les recommandations aux ministres de la Santé.

Ici? Ici, pas moyen de savoir. Le Conseil du médicament dit «consulter» des experts en cancer, mais refuse de les identifier!

Quant aux six médicaments rejetés par le Conseil du médicament, en Ontario ou en Colombie-Britannique, ils sont soit en cours d'étude soit déjà sur les listes des médicaments acceptés.

Je ne sais pas comment vous dire ça autrement: il y a certains cancers du sein, du poumon et du rein qu'il vaut mieux avoir ailleurs, en Ontario ou en Colombie-Britannique. Parce qu'ici, nous sommes désorganisés.

Remarquez, certains de ces médicaments refusés par Québec ne «sauvent» pas de vies. Ils la prolongent ou améliorent la qualité de vie des patients.

Peut-être qu'au Québec, on a décidé que les Québécois n'ont pas droit aux meilleures molécules disponibles pour combattre le crabe. Ça se peut. Mais si c'est le cas, il faut le dire.

Je cite là-dessus le Dr Blais: «Si la vie a un prix au Québec, qu'on le dise ouvertement et publiquement. Dans le cas contraire, il faut revoir le système actuel d'accès aux nouveaux médicaments, car il ne répond plus aux besoins de ceux qui souffrent. Aussi dérangeants soient-ils, il est essentiel d'évoquer ces enjeux et d'en débattre publiquement.»

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Toujours dans le sujet peu sexy de la lutte contre le cancer, on a appris hier que le Québec se dotera enfin d'un programme de dépistage des tumeurs colorectales.

On peut croire que c'est une bonne nouvelle. Sauf que nos voisins ontariens, eux, ont lancé les projets-pilotes de dépistage du cancer du côlon en 2003, 2004 et 2005. Le dépistage systématique de ce tueur silencieux, seconde cause de mortalité par cancer, touche la moitié des Ontariens depuis 2006.

Là encore, le Québec est en retard. Comme à peu près en tout ce qui concerne la lutte contre le cancer, des médicaments au dépistage.