Vous avez été mille au moins à réagir de la même façon à ma chronique de lundi sur Guy A. Lepage qui pestait contre ces gens qui prennent des photos de vedettes et qui les envoient à ce site de potins, Hollywood PQ. Votre réaction, donc: «C'est la rançon de la gloire.» Toujours ces six mots, comme un mantra. C'est la rançon de la gloire.

Traduction: Ta gueule, Guy A, t'as voulu être connu, vis avec les «pas de vie» qui risquent de prendre ta photo dans une pharmacie Jean Coutu, rayon du papier cul...

 

Marie-France Lacroix: «Un artiste gâté qui menace de traîner les gens à la source de son gagne-pain en cour, ça ne fait pas pitié, mais pas pantoute.» Et Marie-France d'évoquer, elle aussi, la rançon de la gloire.

France Gagnon: «J'ai justement ressenti un malaise hier soir en écoutant Guy A. Lepage poser des questions très personnelles à Annie Villeneuve concernant sa relation avec Guillaume Latendresse. Michel Girouard n'aurait pas fait mieux.»

C'était pas une chronique sur Guy A. Lepage, pourtant. C'était une chronique sur notre temps. Sur notre nouveau statut: tous producteurs de contenu, via Facebook, Twitter, nos blogues. Tous des paparazzis en puissance. Après les journalistes-citoyens, il faudra parler des potineurs-citoyens...

Je veux dire, bon, il y a peut-être un signe de l'apocalypse quand quelqu'un prend une photo de l'humoriste François Morency (de dos!) en train d'acheter des linguinis dans la section des surgelés d'un IGA. Un vide intersidéral habite ce geste...

Alexandre Laurin, étudiant à la maîtrise à l'Université de Montréal, a accouché de l'analyse la plus incisive. La plus disjonctée, aussi, peut-être; il m'a cité Bernard Stiegler, m'a parlé de cette époque de désaffectation et de suraffectation.

«Une onde de choc transindividuelle qui n'a aucune logique propre. De l'émotion pure et incontrôlable. Ça se propage. Comme un 11 septembre. Nous sommes tous virtuellement des Unabomber, des Perez Hilton, des Kimveer Gill. Je sonne plus radical que je ne le suis, ne t'inquiète pas, bro...»

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Ce n'était pas une chronique sur Guy A. et ce n'était pas une chronique sur les vedettes. En périphérie du showbiz, certes. Mais le noyau, c'est nous; nous tous, producteurs de contenu, dont la seule ligne éditoriale est notre pudeur individuelle et ses frontières.

Parce que c'est aussi la notion même de vedette qui a muté, comme un virus, de nos jours. Les critères d'accès au statut de vedette sont pas mal plus bas que quand il fallait minimalement être vedette de cinéma, chanteuse de charme ou goaler du Canadien pour accéder à ce statut. C'est ce que Max Férandon n'a pas compris: «Si on veut être anonyme, c'est simple. On travaille à l'usine.»

David G., prof, lui, l'a compris: «En classe, certains élèves se font un plaisir fou à photographier des enseignants dans des positions embarrassantes. Et à publier celles-ci sur l'internet.»

Bref, bienvenue dans le monde de la microcélébrité: un prof, pour une polyvalente de 2000 élèves, c'est une vedette. Donc, selon les diktats de notre époque, il est tout à fait réglo de diffuser des photos dudit prof sur Facebook, de potiner sur sa vie sexuelle sur Twitter et de lancer des rumeurs sur son blogue.

Hé, c'est une vedette, le prof! Et qu'est-ce qui vient avec la vie de vedette? La rançon de la gloire. Prochaine étape: les travailleurs d'usine, mon Max...

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J'ai demandé à Marie-France Lacroix, à propos de cette proverbiale rançon de la gloire: «Je veux bien, mais c'est quoi la limite? C'est quoi le montant de la rançon?» Sa réponse: «C'est proportionnel à la gloire.»

Alexandre Laurin, mon étudiant en maîtrise, m'a relancé, il croit qu'au fond, c'est toute la notion d'authenticité qui est en jeu dans cette obsession pour la vedette, grande ou petite. «Ce que je me demande au quotidien, c'est: Qu'est-ce qui est authentique? Qu'est-ce qui est sacré? Au-delà du bien et du mal, là. Au-delà de la morale, qu'est-ce qui n'est pas faux? Prendre Guy A. en photo en train d'acheter du papier cul, c'est déboulonner le mythe, c'est voir qu'il est vrai, ce Guy A. C'est con de même. Et les gens veulent ça.»

Et Alexandre, avant d'emballer le rôti de l'authenticité, du vedettariat, du potineur-citoyen, me sert une tranche bien humide de Guy Debord (La société du spectacle): «Dans le monde réellement inversé, le vrai est un moment du faux.»

Tiens, vous méditerez ça en servant des Froot Loops à votre petit, ce matin: le vrai est un moment du faux.

David, mon prof, médite la question sans le savoir en évoquant le voyeur qui dort en chacun de nous et en me posant cette question rhétorique: «Combien, les cotes d'écoute, pour Occupation double

Réponse, David: 1,7 million de Québécois ont regardé une tarte inconnue aux dents blanches choisir entre deux tartes inconnues aux dents blanches, dimanche.

Si c'est un autre signe de l'apocalypse?

Un peu.

Ce qui l'est assurément: on aurait probablement atteint le cap triomphal des deux millions, n'eût été l'excitante finale de la Coupe Grey à RDS.