Donc, une septième et une huitième attaque contre un café appartenant-à-la-communauté-italienne-de-Montréal. Les cafés ont été la cible d'attentats nocturnes au cocktail Molotov. Autre signe que ça brasse chez les bandits, chuchote-t-on.

Oui, on chuchote, et pas seulement dans les cafés italiens. Le noeud de l'affaire, c'est que la nature a horreur du vide. Or, le vide, ici, il est dû à quoi?

 

Il est dû à Vito Rizzuto, qui a quitté Montréal pour cause de déménagement au Colorado (où il séjourne en prison pour une vieille affaire de meurtre). La mafia sicilienne est donc sans véritable boss, depuis l'extradition de Vito aux États-Unis.

Mon collègue André Cédilot a cité des experts qui, la semaine dernière, montraient du doigt les gangs de rue dans cette traque aux incendiaires. Les gangs de rue veulent leur part du commerce de la drogue, dit-on. Et ils s'attaquent aux Italiens.

Ça se peut. Comme toujours, on y va à tâtons quand il est question du monde interlope. Il est difficile de se faire confirmer des informations: les gangs de rue, les Hells et la mafia italienne n'ont malheureusement pas de relationnistes disponibles...

Je vous fais part d'une autre hypothèse qui circule chez les flics. Selon cette lecture des incendies de cafés italiens, oui, en effet, l'absence de Vito Rizzuto crée un vide dans le monde des bandits. Oui, en effet, des types membres de gangs de rue sont à blâmer pour ces huit incendies.

La différence, selon cette hypothèse: ça brasse entre membres de clans italiens. Entre Calabrais, Napolitains, Siciliens.

Mais pas entre Italiens et gangs de rue. Oui, des gangs de rue seraient utilisés par certains acteurs italiens pour a) faire le job de bras et b) créer une diversion en faisant croire que la mafia est attaquée par les gangs de rue.

Pourquoi des cafés italiens? Sans présumer de ce qui se vendait, outre des espressos bien serrés, dans les commerces ciblés, il est de notoriété policière que certains cafés italiens servent de lieu de vente de drogue. La mafia italienne ne vend pas au métro Berri-UQAM ou par l'entremise de cette race de monde qui est la dernière à utiliser des téléavertisseurs: les pushers itinérants.

Un café est difficile à infiltrer: les tenanciers connaissent bien les habitués, disons. Quand un visage détonne, on le sait, et vite...

Évidemment, supputations et hypothèses sont à prendre avec des pincettes et des grains de sel quand on met le gros orteil dans le monde interlope. Rappelons-nous Sorel, il n'y a pas si longtemps: on s'est tous perdu en hypothèses et supputations quand le bunker des Hells a été la cible d'un attentat. On parlait de gangs de rue, de mafia russe, de motards rivaux et je crois même que la fée des étoiles a été évoquée, dans les heures frénétiques qui ont suivi l'explosion. C'était l'oeuvre d'un amoureux éconduit.

Mais je m'égare, désolé. Autre observation glanée chez les policiers: les commerces visés ont la fâcheuse habitude de ne pas flamber comme un feu de joie le soir de la Saint-Jean. Une vitrine brisée, des débuts d'incendie. Juste ce qu'il faut pour effrayer le voisinage et passer un message. Et, aussi, attirer l'attention des flics. Mais les bâtisses ne brûlent pas. On ne sait jamais, ça pourrait servir.

De deux choses l'une: ou les incendiaires sont incompétents (ce qui ne serait pas surprenant, puisque les soldats des gangs de rue ne sont pas toujours des Prix Nobel, de chimie ou autre chose), ou on ne veut pas vraiment faire brûler les commerces.

Quant à l'hypothèse voulant que les gangs de rue soient en train de faire la guerre aux Italiens, elle est rejetée par beaucoup de policiers. Pas tous. Mais plusieurs: les gangs de rue ont certainement une puissance à hauteur de trottoir, la puissance qu'achètent les guns et les coups de poing.

Mais ce n'est pas, dit-on, le genre de puissance qui peut concrètement organiser une véritable guerre aux mafieux. À cause de la nature des gangs de rue.

La mafia est une structure hautement organisée, disciplinée, organique, avec ses codes et ses entrées à l'étranger, sa culture et son histoire. Faire venir des kilos de coke de Colombie, ce n'est pas socialement recommandable, mais ça demande du simple point de vue organisationnel une certaine expertise qui relève davantage du MBA que de la culture du gangsta rap, sans vouloir offenser qui que ce soit.

D'où cette hypothèse: oui, des fleurons de gangs de rue mettent le feu dans des commerces de café, mais c'est dans le cadre d'une rivalité - pas d'une guerre - entre membres du crime organisé italien de Montréal.