Deux pincées de grippe A, trois tasses d'écoeurantite post-élections municipales, une tranche d'action gouvernementale, mélangez le tout: la recette pour calmer les envies d'une enquête publique sur les gangs de routes est simple comme bonjour.

Il n'y a pas si longtemps, tout le monde voulait une commission d'enquête publique sur ce ménage à trois réunissant dans le même lit entrepreneurs en construction, élus municipaux et certains parrains locaux.

 

Puis, depuis les élections municipales, le temps a fait son oeuvre, l'actualité a trouvé d'autres os à ronger. Seule la grogne populaire pouvait pousser le gouvernement Charest à convoquer une commission d'enquête publique sur les gangs de routes.

Or, la grogne s'est calmée. Il semble bien que le gouvernement ait gagné son pari. Il n'y aura pas d'enquête publique. À cause du mou dans la grogne populaire, qui ne dure jamais très longtemps, comme chacun le sait.

Il y aura des enquêtes de police. Rappelez-vous, à la fin du mois d'octobre, Québec a annoncé la mise sur pied de l'opération Marteau: ligne téléphonique de dénonciation, escouade policière de la Sûreté du Québec, amendements législatifs.

Message pas subliminal: l'État agit, mesdames et messieurs!

Retournez regarder Occupation double bien tranquillement, on veille au grain.

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Après l'annonce de cette opération Marteau, j'ai dénoncé l'absence d'un acteur majeur dans l'escouade policière menée par la SQ: le Service de police de la Ville de Montréal.

C'est une aberration. Le SPVM possède une expertise de terrain et de renseignement inégalée dans la plus grande ville du Québec. Il connaît l'écosystème du crime, grand et petit, il y a ses sources, connaît les liens entre chacun. Beaucoup, beaucoup plus que la SQ et la GRC.

Cette expertise vient avec tout le renseignement qu'on collige en évoluant au quotidien dans cet écosystème. Je cite un policier qui m'avait parlé, pour cette chronique du 23 octobre: «Tiens, prends l'opération Colisée, qui a frappé la mafia il y a quelques années. Dans cette enquête, on a appris énormément de choses, pas forcément criminelles, sur les liens entre des gens de la politique et des gens de la construction. Il y a des accointances. Il y a des gars de la construction, disons, qui dînent avec des gars de politique. Puis, après, parce qu'on les a suivis, on sait quels gars de la construction dînent avec des gars du crime organisé!»

Québec réplique que le SPVM va «collaborer» à l'opération Marteau. Bien sûr que le SPVM va collaborer. Je suis sûr que, quand un enquêteur de la SQ va laisser un message à un flic du SPVM, celui-ci va le rappeler.

Sauf que «collaborer», ce n'est pas «jouer dans la même équipe». Or, quand les policiers québécois ont ébranlé les bandits, ces dernières années, c'est parce qu'ils jouaient dans la même équipe, partageaient les mêmes bureaux et les mêmes repas au sein d'escouades mixtes.

De l'opération Printemps 2001 (motards) à l'opération Colisée (mafia italienne), c'est quand le SPVM, la SQ et la GRC ont traqué les bandits en équipe que la police a obtenu ses résultats les plus probants.

Pour expliquer l'absence du SPVM dans cette enquête, la ligne de défense de Québec est simple: les enquêtes touchant la corruption municipale relèvent de corps de police qui possèdent le niveau de service 6 de la Loi sur la police. Le SPVM n'est pas un service de niveau 6. Seule la SQ en est un.

Fort bien. Sauf que Québec, en dévoilant l'opération Marteau, a annoncé des amendements législatifs imminents pour interdire aux compagnies de construction gérées par des administrateurs véreux d'obtenir des contrats publics.

Tant qu'à modifier une ou deux lois, on pourrait aussi modifier la Loi sur la police pour permettre au SPVM de sauter dans la mêlée. Non?

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Il y a du mou dans la grogne populaire, disais-je. Il y a aussi du mou dans la volonté policière de faire partie de l'escouade Marteau. Chez les flics de la SQ eux-mêmes.

En effet, nous avons appris hier cette nouvelle déprimante, sidérante, inquiétante: l'opération Marteau n'a recruté que la moitié des 50 enquêteurs nécessaires.

Pourquoi? Essentiellement, selon des déclarations de Jean-Guy Dagenais, chef syndical des policiers de la SQ, parce que Montréal, c'est compliqué. Je paraphrase. Mais c'est ça quand même. Extrait:

M. Dagenais précise que les problèmes de circulation automobile et les frais inhérents au stationnement à Montréal peuvent rebuter certains bons enquêteurs qui travaillent actuellement en région périphérique ou ailleurs au Québec, même si le défi qu'offrent ces escouades est intéressant.

Permettez-moi de traduire: dans le meilleur des scénarios, la SQ recruterait de «bons» enquêteurs qui ne connaissent pas l'écosystème du crime montréalais, justement parce qu'ils proviennent de «régions périphériques ou ailleurs au Québec». Mais au moins, dans ce scénario de rêve, les enquêteurs de la SQ seraient «bons», pour reprendre le qualificatif de M. Dagenais.

Mais dans la vraie vie, la SQ va être prise avec des enquêteurs basés en région, qui ne connaissent pas l'écosystème du crime montréalais et qui, EN PLUS, font partie de l'équipe B de la police provinciale.

Formidable, non?

Bref, les chenapans du ménage à trois des entrepreneurs en construction, des parrains locaux et d'élus municipaux qui escroquent le public à coups d'appels d'offres arrangés, de ristournes aux partis et de cadeaux à Pierre, Jean et Gino peuvent dormir tranquilles.

J'aimerais bien savoir ce qu'Yvan Delorme, chef de la police de Montréal, pense de cette mascarade. Mais, bon, il n'a rien à dire sur le sujet.