Si je vous demande dans quelle région trône Chibougamau, il y a de grandes chances que vous me donniez une des deux réponses suivantes :

a) L'Abitibi.

b) Chibougamau existe pour vrai?

Bien sûr que Chibougamau existe. J'y suis allé. Neuf heures de route de Montréal, on s'y rend en naviguant dans un océan d'épinettes noires, via la Mauricie et le Lac-Saint-Jean. Puis, soudain, alors qu'on ne l'espérait plus: Chibougamau.

Mais je m'égare. Dans quelle région, Chibougamau? Et Lebel-sur-Quévillon, sa lointaine banlieue (quatre heures de route), tiens, tant qu'à y être?

Si vous avez répondu l'Abitibi, bravo: vous faites la même erreur que tout le monde, ou presque...

C'est en Jamésie.

Oui, je sais, c'est un nom bizarre, pour une région. Mais elle existe,

ne serait-ce que dans l'imaginaire des fonctionnaires provinciaux. La Jamésie. Même le nom est dur à prononcer.

Faut-il mettre l'accent sur le «James», et prononcer à l'anglaise?

Faut-il mettre l'accent sur le «é», et prononcer à la française?

Aucune idée.

Au fond, on s'en fout. Parce que la région a un problème plus grand que son nom: l'identité. Ou plutôt, le manque d'identité. Chibougamau est au coeur de cette quête.

***

Mario Fortin, jeune conseiller municipal et candidat déclaré à la mairie pour l'élection de novembre, ne fait pas de cachettes. Le leadership politique, en Jamésie, ou dans la région de la Baie-James, ou dans le Nord, appelez ça comme vous voudrez, fait défaut.

«On est comme gênés de s'affirmer», dit-il, accompagné de Jocelyn Cotes, un homme d'affaires du coin qu'il voulait absolument me présenter.

Gênés, Mario?

«Oui. Tiens, Québec veut développer le Nord. Jean Charest va présenter un Plan Nord. Ça se jase depuis longtemps. Un prof de l'Université du Québec à Chicoutimi, Marc-Urbain Proulx, a déjà dit que le Saguenay-Lac-Saint-Jean devrait se positionner comme la capitale du Nord. C'est ridicule! Chibougamau est plus au nord! Sauf qu'on se le dit entre nous autres, que c'est ridicule. On ne le dit pas haut et fort...»

Jocelyn Cotes, un grand bonhomme qui possède des maisons, une station-service, des dépanneurs et d'imposants biceps, opine du bonnet: «Ici, on est comme divisés, pris entre le Lac-Saint-Jean et l'Abitibi. On manque de force. On manque de leadership. On a de la misère à dire: Ça, c'est notre place...»

Récemment, Québec a tranché : c'est par Chibougamau que passera la route des monts Otish, où des projets miniers (uranium et diamants) sont en développement. Pas par le Lac-Saint-Jean. Petite victoire pour une région qui s'estime ignorée par le reste du monde...

Qu'importe: ils sont nombreux, à Chibougamau, à croire que la route, et le développement, et les proverbiales retombées qui viennent avec, leur sera tôt ou tard «volée» par le Lac-Saint-Jean et ses politiciens ratoureux...

Autre sujet de contention, dans le chef-lieu de la Jamésie : Hydro-Québec. Et sa politique, imbriquée dans les conventions collectives, de commutation des travailleurs.

Commuquoi? Commutation: les employés de la société d'État qui travaillent dans les barrages de la Baie-James habitent le Saguenay ou l'Abitibi. On appelle leur horaire un «8/7». C'est-à-dire : sept jours de travail, sept jours de congé. Et deux demi-journées de voyagement : les avions d'Hydro trimballent les employés.

Or, Chibougamau a un aéroport. Mais si un Chibougamois veut travailler dans un de ces barrages, il devra aller habiter à Rouyn-Noranda. Ou choisir de gagner Chibougamau, après le vol, par la route (sept heures !).

«La commutation des employés plutôt qu'un mode résident pose un problème pour une région comme la nôtre», a plaidé la Ville de Chibougamau, en 2006, lors des audiences publiques sur les effets environnementaux et sociaux du projet de barrage sur la rivière Eastmain.

Chibougamau souhaite qu'Hydro-Québec favorise l'établissement de travailleurs dans les villes de Jamésie. Traduction : oui à la commutation, mais à partir de ports d'attache de villes de la région. Comme Chibougamau.

La demande a été ignorée.

«Notre poids politique, dit Mario Fortin, est proche de zéro.»

***

Ah, oui. Mario voulait absolument que je rencontre Jocelyn Cotes. Parce que Jocelyn Cotes est, à Chibougamau, l'homme qui s'est battu pour convaincre un clown mondialement connu de venir s'établir à Chibougamau : Ronald McDonald.

«Je me suis battu quatre ans pour convaincre les gens de McDonald's d'ouvrir une franchise ici. Ça n'a pas été évident. Pour bien du monde, y a rien, à Chibougamau!»

Jocelyn Cotes a offert au géant du Big Mac d'héberger une succursale dans un édifice où il comptait ouvrir une station-service flanquée d'un dépanneur.

«Quand j'ai mis la pancarte annonçant que McDo s'en venait, il y a du monde qui ne me croyaient pas.»

Pourtant, c'était vrai. En décembre dernier, le petit McDo est sorti de la terre et de la neige, près de l'entrée de la ville, là où la route 167 dépose les voyageurs épuisés...

«Ça monte le standard de notre ville, s'emballe Jocelyn Cotes. La plus grosse chaîne de franchises au monde a décidé de venir s'établir dans ce qu'on appelle un trou!»

Jocelyn Cotes n'en revient pas encore. Je pense qu'il se pince, des fois, le soir, en voyant les arches d'or dans sa ville. Les Chibougamois non plus : le McDo est toujours plein, un véritable succès auprès des Blancs et des Cris...

Allons, allons... Ne riez pas. Je vous entends rire d'ici : ce type s'excite parce que McDo a décidé de venir s'établir dans son village. D'abord, c'est pas un village, Chibougamau, c'est une ville. Ensuite, McDo est un symbole.

C'est comme si Ronald McDonald avait, en décembre, décrété que Chibougamau existe...

- Dans le fond, t'es fier, Jocelyn. C'est le mot?

- Oui, oui...

- Parce que vous avez un McDo, comme les autres...

- Parce que ça reconnaît, dit Jocelyn Cotes, notre juste valeur.