Depuis 2002, la FTQ n'a pas lésiné sur les étiquettes pour crier sa haine de Quebecor et de son grand patron, Pierre Karl Péladeau. Permettez que je fasse une courte nomenclature. La FTQ a traité, au fil des ans, M. Péladeau de...

Cheap.

Tricheur.

Déloyal.

Des syndicats affiliés à la FTQ se sont frottés à Quebecor à de nombreuses reprises ces dernières années. La centrale syndicale a dit de Quebecor que ses méthodes sont «répugnantes». Et que Quebecor «incarne le virus de l'intransigeance et de la violence» en matière de relations de travail.

En 2002, quand Quebecor a imposé un lock-out aux syndiqués de Vidéotron, qu'elle venait d'acheter avec l'aide de la Caisse de dépôt et placement, la FTQ a reproché à M. Péladeau d'avoir «vendu comme du bétail 650 de ses techniciens».

La FTQ, dans le lock-out de Vidéotron, a interpellé la Caisse en lui demandant, à propos de son investissement dans Quebecor Media lors de l'achat du câblodistributeur : «Est-ce un investissement responsable»?

La FTQ a dénoncé, en 2008, pendant le lock-out de syndiqués SCFP (le plus gros syndicat membre de la FTQ) du Journal de Québec, les 12 lock-out en 13 ans décrétés par Pierre Karl Péladeau, dans les entreprises de son conglomérat.

Bref, depuis 2002, Pierre Karl Péladeau est la bête noire de la FTQ.

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La FTQ a un bras d'investissement, le Fonds de solidarité. Le Fonds dispose de milliards de dollars pour investir dans des entreprises québécoises. Ces milliards proviennent des épargnes de Québécois qui confient leurs REER au Fonds.

Bref, la FTQ, via le Fonds, est probablement le plus «business» de tous les syndicats québécois. Ça, on le savait.

On sait désormais que la FTQ, de tous les syndicats québécois, est celui qui a le moins de principes.

Mercredi soir, on a appris que deux groupes avaient déposé des offres officielles pour acheter le Canadien de Montréal. D'un bord : la famille Molson. De l'autre : Quebecor Media, épaulé par René Angélil, la Caisse de dépôt et...

Et devinez qui?

Eh ! oui. Le Fonds d'investissement de la FTQ.

C'est hallucinant. C'est surréaliste. C'est incohérent.

Je sais, je sais. Certains diront que Quebecor, qui possède des quotidiens, est concurrent du groupe de presse pour lequel je travaille. Que j'ai été journaliste pour un quotidien de Quebecor. Que TVA, propriété de Quebecor, m'a inclus dans une poursuite en diffamation, l'an dernier, lancée contre La Presse et Le Soleil.

Sauf que ça n'a rien à voir. La vérité, c'est que je crois que PKP a réussi un coup fumant en enrôlant son principal ennemi syndical. FTQ + PKP = CH? Chapeau, M. Péladeau, chutzpah.

Mais du point de vue de la FTQ, désolé, c'est un mariage contre nature qui a tout pour dégoûter du syndicalisme. Surtout quand les syndiqués CSN du Journal de Montréal sont, comme ceux de la FTQ du Journal de Québec il n'y a pas si longtemps, en lock-out.

On dira que le Fonds est distinct de la FTQ. Bien sûr, bien sûr. Et je suis la Fée des dents.

Michel Arsenault, président de la FTQ, est président du Fonds. Michel Poirier, directeur québécois du SCFP, le plus gros syndicat affilié à la FTQ, est membre du conseil d'administration du Fonds.

On va nous faire croire que, le jour, ces deux-là peuvent pourfendre Quebecor et, le soir, dans les réunions du Fonds, se lancer en affaires avec Quebecor sans arrière-pensée?

Ayoye.

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J'ai beau essayer de comprendre, je ne comprends pas. La FTQ est un syndicat. Elle a couvert Pierre Karl Péladeau de boue depuis des années, elle a traité Quebecor de tous les noms. Et là, elle permet à son bras financier d'aider Quebecor à acheter le Canadien de Montréal, où les seuls syndiqués sont... les joueurs millionnaires.

Denis Bolduc ne comprend pas plus. Le président du syndicat des employés du Journal de Québec m'a déclaré ceci : «En tant que président d'un syndicat mis en lock-out pendant 16 mois, qui est encore en Cour supérieure parce que Quebecor conteste une décision d'arbitrage sur l'utilisation de scabs, je ne suis pas confortable avec ça. Mes membres non plus.»

Il dit comprendre que le Fonds «a pris une décision d'affaires», mais il aimerait que ce dernier «révise sa position et qu'il se retire» du partenariat avec Quebecor. Même s'il apprécie le travail fait par la FTQ pendant ce lock-out.

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Désolé, mais la FTQ qui se lance dans un partenariat d'affaires avec Quebecor, c'est Greenpeace qui achète des actions de Exxon Mobil ; c'est un végétarien qui se lance dans la vente de smoked meat ; c'est Rush Limbaugh qui vote pour Barack Obama ; c'est Roy Dupuis qui fait des pubs pour Hydro-Québec...

Je suis surpris, mais je ne devrais pas. Après tout, le Fonds a fini par se retirer du capital de Gildan, le fabricant de vêtements accusé de pratiques antisyndicales en Amérique centrale, seulement après s'être longuement fait tirer l'oreille.

Après tout, la FTQ, c'est la centrale syndicale qui n'a jamais dit un mot pour dénoncer le comportement de hooligans du leadership syndical des cols bleus de Montréal.

Après tout, la FTQ, c'est la centrale syndicale qui a laissé Jocelyn Dupuis, de la FTQ-Construction, vivre une vie de pacha aux frais des cotisations de ses membres, sans agir pour y mettre fin.

Après tout, la FTQ, c'est la centrale syndicale dont le président, Michel Arsenault, est allé se faire bronzer sur le yacht de Tony Accurso, entrepreneur souvent financé par le Fonds, sans penser que c'était un manque de jugement flagrant.

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À ma collègue Louise Leduc, M. Arsenault a expliqué avoir de bonnes relations avec PKP. Vrai qu'on chuchote que c'est lui qui a provoqué le déblocage au Journal de Québec, en parlant directement à M. Péladeau. Il dit que ce partenariat est peut-être l'occasion de sensibiliser Quebecor à l'importance des bonnes relations avec les syndiqués.

M. Arsenault devrait prier pour que sa sensibilisation fonctionne. C'est probablement la seule planche de salut de son âme de syndicaliste, sacrifiée, mercredi soir, à l'autel du rendement du Fonds de solidarité.