Tout, en politique, est scénarisé. Tout est mis en scène. Tout est pensé, organisé, prévu. Chaque mot, pesé. Chaque image, soupesée.

Ils font tous ça. Libéraux, néo-démocrates, péquistes. Tous.

Je ne dis même pas que c'est mal.

Je dis qu'il n'y a à peu près jamais de candeur dans le politique.

 

Qu'un politicien soit en conférence de presse, en entrevue intime chez Josélito, sur une tribune devant ses militants, en entrevue serrée chez Arcand, répondant à une question en Chambre: il calcule.

Il choisit soigneusement ses mots.

Il pense aux conséquences de ces mots.

Pensez-vous qu'ils disent «Québécois zé Québécoises» pour le fun?

À la fin, ça donne un discours politique lisse, prévisible, blanchi à l'eau de Javel.

Le fond de la pensée des politiciens?

On ne le connaît jamais vraiment.

Je ne dis même pas que c'est une mauvaise chose: peut-être que le peuple est à blâmer, en fait. Peut-être que nous ne sommes pas capables de vivre avec des élus qui nous disent des trucs bruts, sans fard.

Le résultat? Une mise en scène perpétuelle. À ce chapitre, j'adore l'image de Laura Penny, auteure en 2005 de Your call is important - the truth about bullshit, à propos du discours public: «Le nombre de personnes travaillant à partir d'un scénario de nos jours nous encourage à considérer chaque déclaration publique comme de la comédie, une culture entière calquant un théâtre d'été. Faisons un show! La division du travail rhétorique signifie que les cerveaux qui pensent aux mots n'ont pas besoin de les prononcer; et que ceux qui les prononcent en public n'ont pas à y penser. Tout ça pour mieux dissocier ces mots de la réalité...»

Ce qui nous amène au cas de cette blonde ministre, Lisa Raitt.

Mme Raitt est députée ontarienne, ministre fédérale des Ressources naturelles. Son ancienne attachée de presse, d'un naturel oublieux, a un jour perdu son enregistreuse.

Dans le disque dur de ce petit appareil: des propos à bâtons rompus entre l'attachée de presse et la ministre.

La ministre évoque la pénurie des isotopes médicaux, ces particules produites par un réacteur nucléaire basé en Ontario. Les particules servent, au Canada et ailleurs, à détecter des cancers et des maladies du coeur. La pénurie, causée par des pépins, dont des fuites, dans le réacteur, a des effets désastreux dans le système de santé.

Mais la ministre Raitt trouve la crise «sexy». Elle trouve que c'est une crise simple à expliquer au public.

Ses mots: «Mais c'est sexy. Des fuites radioactives. Le cancer.»

Et Mme Raitt évoque, sans fard, sans artifices, ce qu'elle perçoit comme le manque de flair politique de son homologue à la Santé, Leona Aglukkaq, également impliquée dans le dossier.

Rien de méchant. Rien de vache. Une analyse franche, honnête, sans maquillage. Le fond de sa pensée, quoi.

Ah! Et Mme Raitt qui tombe dans la fine stratégie. Puisque Aglukkaq est si timorée dans ce dossier, dit-elle, si nous gagnons, «nous en retirerons tout le crédit» politique.

J'ai lu les papiers du Halifax Chronicle-Herald, hier matin, en me levant. Le journal a publié les propos de Mme Raitt, hier.

J'étais furieux. Sexy, une pénurie d'isotopes qui grignote l'arsenal des médecins dans la guerre contre le cancer? Phoque, elle est folle, ou quoi...

J'allais écrire une chronique incendiaire. Une chronique où je me promenais avec la tête de Mme Raitt au bout d'un piquet. C'est, après tout, ce qu'une insensible de son genre mérite...

J'ai même prévenu mon boss. Attache tes culottes, boss, ça va fesser fort...

Puis, je me suis mis à chercher des avis contraires. J'essaie de faire ça, quand je suis pompé comme un boxeur avant le grand combat. Pour me protéger de moi-même.

Un ami, journaliste politique: «Toi, si on t'enregistrait quand tu parles d'un gros fait divers, d'une grosse histoire? Serais-tu fier de tout ce que tu dis, si c'était publié?»

Une amie, ex-politicienne: «Évidemment, la chose la plus facile à faire, c'est de la planter. Mais je relis ce qu'elle dit et c'est pas si fou. C'est cru, mais pas si fou...»

À la fin de journée, je n'avais plus de chronique. Enfin, je n'avais plus cette chronique où je jouais au soccer avec la tête d'une ministre conservatrice.

On l'a dit insensible. Je ne peux pas le croire. C'est peut-être utile, politiquement, de dire de Mme Raitt qu'elle se fiche des victimes de cancer, mais ça ne se peut pas. Je n'y crois pas.

Cette saloperie de maladie est universelle. On connaît tous quelqu'un qui a été touché, qui l'a combattu. Et qui en est mort. Tous. Mme Raitt aussi, j'en suis sûr.

Non, à la fin, ce qui nous frappe, dans ces paroles prononcées à bâtons rompus, dans ces paroles qui n'étaient pas prononcées pour dégustation publique, c'est le rare spectacle de la mise en scène qui déraille.

Pour une rare fois, on entend une politicienne nous livrer le fond de sa pensée, sans suivre le texte écrit pour elle par des stratèges anonymes au bureau du premier ministre.

Au-delà de ce que Lisa Raitt a pu dire, ce qui nous choque, c'est cette candeur nue, cette candeur nue et brute, cette candeur à laquelle nous ne sommes pas habitués venant de nos élus.

Cachez cette vérité que je ne saurais voir, quoi...

Bref, pour une rare fois où on sait ce qu'une ministre pense vraiment, peut-être qu'on devrait lui foutre la paix. La féliciter, même.