Hydro-Québec va donc construire ces quatre barrages sur la rivière Romaine. Je devrais déchirer ma chemise et dire que c'est écoeurant, qu'on détruit la nature, qu'on saccage le patrimoine pour éclairer les maisons des Américains.

Pourtant, non. Je ne vais pas déchirer ma chemise.

Parce que c'est ma faute, ce barrage.

Ma faute et la vôtre aussi.

 

Parce que nous sommes des gloutons énergétiques. Comme tous les Occidentaux, ou presque, en cela. La croissance de la demande énergétique des Québécois est constante et imparable: 1% par année.

Ça n'a l'air de rien, mais c'est énorme. C'est 10% en une décennie.

Je sais, je parle du Québec alors qu'il s'agit de vendre de l'électricité aux Américains. Sauf qu'après la construction des quatre barrages, l'électricité de la Romaine va éclairer nos maisons.

À terme, nous sommes toujours rattrapés par ce foutu 1%.

À terme, nous sommes toujours rattrapés par nos téléviseurs 64 pouces au plasma (et celui de 32 pouces au sous-sol), par la thermopompe, par le chauffe-piscine, le ventilateur, le climatiseur, le frigo, le congélateur, le chauffe-eau, l'ordinateur, les plinthes qui nous chauffent, les lumières de Noël, les ampoules électriques qui nous éclairent (ou qui éclairent nos pièces vides).

Traduction: nous sommes toujours rattrapés par tous les cossins de la vie moderne qui fonctionnent magiquement quand on les branche dans le mur.

* * *

Je ne veux pas planter les environnementalistes. Leur job, leur vocation, c'est de défendre l'environnement. Ils sont parfois moralisateurs mais, sur le fond, ils ont raison: l'environnement n'est pas exactement en bonne santé. S'ils ne déchirent pas leur chemise, qui le fera?

Sauf que quand je les entends parler de la Romaine, j'ai de la misère à les suivre.

D'abord, il y a eu ces déclarations de Daniel Green, selon lesquelles l'hydroélectricité n'est pas une énergie verte.

C'est vrai... selon le fisc de 27 États américains qui appliquent le RPS, ou Renewable Portfolio Standard, m'explique Jean-Thomas Bernard, professeur titulaire de la chaire en économique de l'énergie électrique de l'Université Laval.

Le RPS force les fournisseurs d'énergie à inclure, dans leur offre d'électricité, une fraction produite par certaines technologies vertes comme la biomasse, l'éolien et le solaire. C'est une façon de stimuler ces industries naissantes.

«Et la grande hydroélectricité, qu'on trouve surtout au Québec, n'est pas considérée comme une énergie verte par le RPS», dit le professeur Bernard.

Sauf que l'hydroélectricité reste une énergie propre, très propre, au palmarès des façons de produire de l'électricité.

«Avec les forêts détruites, le pourrissement des arbres, il y a quand même des émissions de CO2, selon Jean-Thomas Bernard. Sauf que c'est minime, par kilowattheure produit, si on compare au charbon.»

* * *

L'autre mantra des environnementalistes, dans l'opposition à la Romaine, c'est dire que le Québec devrait mieux gérer l'électricité qu'il produit avant d'en produire encore plus. Miser sur les programmes d'économie d'électricité.

J'en suis. Sauf que ça n'arrivera jamais.

D'abord, l'électricité, au Québec, ne coûte pas cher. On se fiche de ce qui ne coûte pas cher. On le dilapide.

C'est un peu comme les radars photo. Pourquoi les gens roulent-ils vite? Parce que le risque de se faire pincer est mince.

Pourquoi lèvent-ils le pied, dans les pays où un système de radars photo est en place? Parce que le risque de se faire pincer est grand.

Traduction: parce que, s'ils roulent vite, ils vont payer.

Idem pour l'électricité. Pour que l'économie d'énergie fonctionne, il faudrait qu'elle coûte plus cher, cette énergie.

Malheureusement, pour l'écologiste moyen, c'est plus facile de taper sur Hydro que de dire aux Québécois qu'on devrait augmenter le coût de l'électricité afin d'en utiliser moins.

Parce que quand on parle de hausser les tarifs de l'Hydro, que ce soit pour réduire la consommation d'électricité ou s'enrichir collectivement en la vendant aux Américains, vaut mieux revêtir son casque Joffa à grille: les roches viennent vite...

Ensuite, l'Homo quebecus, dans le confort de son salon, quand il regarde Occupation double, ne veut pas se faire embêter par la conservation de l'électricité. Il ne veut pas se faire dire qu'il devrait aller éteindre la lumière de la salle de bains, où il est allé pendant la pause publicitaire. Et quand il part travailler, il ne veut pas faire le tour de la maison pour baisser le chauffage.

Parce que c'est compliqué, être moins énergivore. Dans son quotidien, quand on est roi de son petit univers, empereur de son grand bungalow, c'est emmerdant de modifier son comportement de glouton énergétique.

C'est moins emmerdant de laisser l'État construire des barrages monstrueux sur des rivières que 98% des Québécois ne verront jamais de leurs yeux.

Je termine sur un extrait de la chronique d'hier de François Cardinal, qui couvre l'environnement pour La Presse: «Le Canada est 16e au palmarès Greendex du National Geographic. Le pays se classe ainsi avant-dernier d'une liste de 17 pays en raison de la taille des maisons, de la consommation d'énergie et, surtout, de la propension des Canadiens à se déplacer dans des voitures toujours plus grosses.»

Gros gloutons, gros barrages.

On n'en sort pas.

Mioum!

Le cinéaste québécois Xavier Dolan, dont le film J'ai tué ma mère se retrouve à la Quinzaine des réalisateurs, à Cannes, a été interviewé par Normand Provencher, du Soleil. On y trouve la citation de la semaine: «J'ai toujours vu Cannes dans ma soupe.»

J'adore quand les gens sont involontairement comiques. Ils sont alors attendrissants, c'est fou. Surtout les jeunes réalisateurs très intenses.

Erratum

Vendredi, quand j'ai évoqué le passage extraordinaire d'Anne Robillard chez Isabelle Maréchal, j'ai parlé d'urinologie. Je voulais parler d'urinothérapie, bien sûr. Pardonnez-moi, le buffet ésotérique du charlatanisme est assez vaste, on y perd parfois son mandarin.

Mes excuses aux gens qui boivent leur pipi pour se soigner.