Il n'a pas l'air de Hannibal Lecter. Francis Proulx, je veux dire. Le gars qui a tué Nancy Michaud, l'an dernier, à Rivière-Ouelle, dans le Bas-du-Fleuve. Il n'a pas l'air d'un monstre. Pourtant, ce qu'il a fait est assurément monstrueux.

Moins costaud que ce que le dessin de cour qui a circulé peut laisser penser. Maigre, nerveux. Profil de hibou, avec ces lunettes à la Lennon. Voix mal assurée. Vocabulaire limité. J'ai suivi, comme tout le monde, les comptes rendus de son procès pour meurtre. Vous le savez, la défense admet le meurtre. Admet que Proulx, 29 ans, est entré en pleine nuit chez une voisine, Nancy Michaud, 37 ans, mère de famille. Qu'il l'a tuée d'une balle dans la tête. Qu'il a transporté le corps vers une maison abandonnée. Corps qu'il a violé.

La défense veut démontrer que Proulx, pour cause de médication et de maladie mentale, ne peut être tenu criminellement responsable de ses actes.

Je suis allé assister au procès de Proulx, cette semaine, à Québec. Je l'ai vu être interrogé par son avocat, Jean Desjardins. Et le contre-interrogatoire de la procureure de la Couronne, Annie Landreville, flanquée de James Rondeau.

À la barre, j'ai vu un type démuni. Il faut être démuni en maudit pour charger un cadavre dans sa voiture, le violer et oublier que, ce faisant, on laisse un véritable buffet d'empreintes génétiques incriminantes pour les enquêteurs de la police...

Mais Francis Proulx est également assez vif d'esprit. Assez pour narguer, avec des répliques baveuses, Me Landreville. Mercredi, la procureure talonnait le meurtrier, à propos d'une entrée par effraction dans une maison. Où Proulx dit avoir parlé deux heures au hamster de la maisonnée, dans la pénombre.

«J'aime mieux parler à un hamster qu'à une avocate», a-t-il dit à l'avocate qui s'étonnait qu'on puisse parler si longtemps à un rongeur domestiqué.

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Il y a un truc qui me frappe, chez Proulx. C'est cette vie. Tout, dans cette vie, était petit. La p'tite vie, la vraie, c'est lui qui la vivait.

Une vie qui a commencé petite. Mère dépressive, qui embrigade son fils chez les Témoins de Jéhovah. Père inconnu. L'école, ensuite, où il était ridiculisé à cause de ses tics.

Sa vie, jusqu'à ce soir de mai 2008, quand il est entré chez Nancy Michaud, qui dormait, seule dans son lit?

Du poker sur le web. Des voyages à la «cour à scrap», où il allait chercher des radios d'auto. Il faisait une collection de radios d'auto. Du XXX sur le web.

De la loto. Un fou de loto, Proulx. Jusqu'à 100$ par semaine en gratteux. C'est d'ailleurs ce qu'il s'est acheté avec les 1000$ dérobés dans le compte de Nancy Michaud, le soir du meurtre: 20$ de gratteux, à 4 h du matin, dans un dépanneur.

Ce qu'il faisait avec les billets grattés? Une collection.

Sa vie, sinon? Pas grand-chose. Petit cercle d'amis. En cour, il en a nommé quatre. Définition d'un ami? «Quelqu'un à qui tu parles de temps en temps. À qui on envoie la main quand on les voit.»

Les filles? Pas de filles. Zéro. Un semblant de blonde, au secondaire. Sinon, c'est avec le corps de Nancy Michaud qu'il a perdu sa virginité. À 28 ans.

Même un ancien voisin de Proulx, René Nadeau, était petit. Pas physiquement, je veux dire. Mais René Nadeau était petit au point de vendre un revolver à Proulx, l'idiot du village, allant même jusqu'à lui dire comment se fabriquer un silencieux. C'est ce gun qui a tué Nancy Michaud.

Proulx a grandi chez sa grand-mère, quasi voisine de la victime. Dans la maison : la grand-mère, un oncle et Proulx. La dynamique? Eh bien, imaginez une armoire. Qui se verrouille à clé.

Pourquoi?

Proulx: «Ma grand-mère mettait son Coke, son Seven-Up, ses chips là-dedans parce que mon oncle Gilles se servait, sinon.»

Du Coke. Du Seven-Up. Des chips. Sous clé.

Ah, le Coke. Un jour, Proulx vole dans un chalet. Et il prend la peine de voler quoi ?

Du Coke.

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La p'tite vie?

Après son aveu aux flics de la SQ, Proulx est retourné en cellule, avec un faux détenu, vrai agent double de la GRC qui l'enregistrait à son insu. À la perspective de passer sa propre vie sous clé, il a dit: «C'est-tu vrai que dans les prisons fédérales, ils mangent du steak pis des fruits de mer? Pis qu'ils peuvent te servir deux fois? Avoir su, j'aurais fait mon meurtre avant...»

Proulx est de ces hommes qui vivent dans une prison invisible, la prison de leur petit désert sans curiosité, sans culture, sans références. Et hors cet enclos aride et rabougri, tout est gros, tout est menaçant, tout est une offense personnelle.

Tiens, à l'agent double, Proulx a raconté avoir tué Nancy Michaud parce qu'elle faisait «une belle vie», avec son salaire d'attachée politique. Si elle avait été pauvre, il ne l'aurait pas tuée, a-t-il dit à son (faux) codétenu.

Riche, la victime? Le salaire, pour des jobs d'adjointe de ministre comme celui de Mme Michaud, c'est 45 000$, environ. On est loin, très loin de Céline Dion...

Une, très, très p'tite vie.

C'est peut-être pourquoi je n'ai pas été surpris quand Proulx a expliqué pourquoi il a pris le corps de Mme Michaud d'une certaine façon, et pas d'une autre, sur le lit de cette maison abandonnée, quelques heures après le meurtre. C'est ce qu'il a dit au jury. Je n'invente pas ça. Il a dit:

«J'ai une petite queue.»