Dehors, il pleuvait. À l'intérieur, dans le monastère, les moines paquetaient. Pour une rare fois, le temps importait, pour les moines trappistes d'Oka. En fait, pour une rare fois, peut-être la seule en 127 ans, les moines ont un deadline.

Leur abbaye, et leur domaine majestueux, ont été vendus. Trop gros, le monastère, pour 28 moines. Trop cher à chauffer, à entretenir. Ils ont déjà été 170, à Oka. Un nouveau monastère les attend, en pleine forêt, plus petit, ultra-moderne, à Saint-Jean-de-Matha. Déménagement: 1er mars.

 

L'Ordre cistercien de la stricte observance est présent dans une cinquantaine de pays. Les moines de l'Ordre vivent leur foi dans une discipline stricte et un silence relatif. Il fut une époque, et les plus vieux, comme frère Bénédict, pourraient vous en parler, où ils communiquaient par signes...

Frère Bénédict? Cinquante-neuf ans à Oka. Il a 84 ans. Cinquante-neuf ans à vivre en communauté, à faire du fromage et du chocolat, à veiller aux pommiers, à jadis charrier du charbon, à prier cinq fois par jour. Une vie de désert, confinée derrière la clôture monastique. Pourquoi? En fait, pour qui? Pour Dieu, bien sûr...

Vingt-huit hommes qui vivent en retrait de la société, ou presque, comme 1500 autres dans le monde, en quasi-autarcie. Vingt-huit hommes, de 32 à 84 ans, qui renoncent aux délices de la vie, qui renoncent aux biens matériels, aux téléviseurs plasma 64 pouces et aux caresses des spas en résine de synthèse (et à celles des femmes), pour gagner un ciel dont ils sont certains de l'existence.

Cette dévotion me scie. L'athée que je suis dit: respect.

Tiens, je voulais entendre le frère André, père abbé du groupe, sur l'impact du rythme effréné de la vie moderne sur 28 hommes cloîtrés. L'internet, l'instantanéité, tout ça. Le monastère doit bien entendre la vie, au loin...

- Le tumulte du monde vous atteint-il, père abbé?

- Qu'est-ce que tu veux dire?

- Euh, eh bien, de nos jours, avec le Net, on peut tout savoir...

N'importe qui aurait compris où, maladroitement, je voulais en venir. En 2009, merveilleuse époque, par exemple, l'Australie brûle et on peut presque sentir les flammes par textos interposés; Google peut nous donner en une seconde la durée exacte du trajet Montréal-Flin Flon (un jour et 14 heures) et la véritable signification de l'expression du terroir «avoir la plotte à terre»...

Le moine m'a regardé, sourire en coin, l'oeil espiègle, en insistant sur chaque syllabe, en reprenant mon «tout», en me renvoyant ma ridicule certitude sur le nez: «Vraiment, on peut tout savoir, de nos jours?»

* * *

Pardonnez cette chronique qui ne s'en va nulle part. J'ai vécu une grosse semaine. Pour un tas de raisons. Je vous écris dans un état proche du lendemain de noces italiennes...

Dimanche, je me suis retrouvé à Tout le monde en parle. Lundi et mardi, avec ma jeune et efficace collègue Catherine Handfield, nous avons publié des papiers décapants sur le leadership syndical des cols bleus de Montréal.

Pour TLMEP et pour les flèches décochées aux chefs des cols bleus, j'ai récolté à la tonne de l'engrais à ego: félicitations et tapes dans le dos. Des bravos par dizaines.

Il fut une époque où je serais parti, intérieurement, sur une balloune. Où je me serais pris pour le King Kong de l'info. Il fut une époque où ce passage à la grand-messe de Guy A. aurait été LE grand moment de ma semaine. Suivi de ces papiers acclamés sur le régime stalinien au local 301 du SCFP...

Pourtant, non. J'ai savouré, bien sûr.

Peut-être que je vieillis, mais le trip de ma semaine fut une petite chose, une toute, toute petite chose. Dimanche soir, sur le lac. Pleine lune. Il y a mon héritier et sa mère. On s'aventure sur la neige comme des explorateurs du Nouveau Monde, avec nos grosses bottes. Majestueux clair de lune. On aurait dit que la neige, sur le lac, illuminait la nuit par en dessous...

Puis, le petit a dit: «Attends, papa, tu es trop loin...»

Il courait six pieds derrière moi, légèrement effrayé, il courait comme on court à 3 ans en habit de neige. Je crois qu'il avait peur des loups. Sachez que mon fils a trèèèès peur des loups.

Voilà. C'est tout. C'est le plus beau moment de ma semaine. Un clair de lune à pleurer, ma petite tribu, pas de vent, le lac silencieux, la peur du loup.

Pardonnez cette chronique qui parle de moines et de pas sur la neige: j'ai fait ma part, cette semaine, avec les cols bleus, pour le droit sacré du public à l'information. Et cette rencontre avec le frère André m'a ébranlé. Une rencontre avec la lenteur du temps, au fond. Sans les moines, cette semaine, j'aurais peut-être déjà oublié cet instant sur le lac...

Le tumulte de la vie nous pousse à courir comme des fous pour trouver de grands trips. On oublie les petites choses pour les grands téléviseurs plasma 64 pouces, les grands spas, les grands sparages. La course devient une fin en soi. Et le tumulte, sa trame sonore...

On en oublie l'importance des choses qu'on a, aveuglés que nous sommes par celles que l'on veut. Et on en veut toujours plus.

Plus de bébelles.

Plus d'engrais à ego.

Plus d'importance, quoi.

Les petites choses? Je lisais le blogue de Richard Therrien, mardi. Le chroniqueur télé du Soleil y parlait d'un comédien décédé. Cancer. Épouvantable. Il avait 37 ans.

Trente-sept ans, Richard? J'ai 37 ans.

Savez-vous ce qu'est le cancer? À la base, c'est la multiplication incontrôlée de cellules. La multiplication incontrôlée de microscopiques entités vivant dans notre chair. Encore des petites choses. On n'en sort jamais...

Pourquoi la multiplication en question? Ah, là, on ne sait pas trop. Parce que non, on ne peut pas tout savoir...

Je ne suis pas en train de vous dire de profiter de la vie, ou que le bonheur dans la vie est dans les petites choses. Mais j'ai la certitude qu'il n'est pas dans la course aux grosses bébelles.

Ah, et si j'étais un peu plus moine, si je pesais patiemment, lenteur du temps oblige, chaque mot que je dis et entends, j'aurais immédiatement repris le p'tit cul qui courait derrière moi, dimanche. Je lui aurais dit, sourire en coin, l'oeil malicieux, que non, pas du tout, Papa ne sera jamais trop loin.