Le danger, avec les métaphores, c'est d'en beurrer trop épais. Mais dans le cas du Syndicat des cols bleus de Montréal, la métaphore parfaite, c'est le régime de Staline. Sans les morts, bien sûr. L'atmosphère, les tactiques, les purges: tout ça est digne des intrigues du Politburo soviétique. Paranoïa à l'avenant.

Hier, La Presse a publié des extraits d'un jugement lapidaire de la Commission des lésions professionnelles (CLP), qui a maintenu une décision de la CSST: oui, Daniel Andrews, col bleu, impliqué dans le «301», a bel et bien subi une lésion professionnelle à cause des gestes de brutalité psychologique de Jean Lapierre, son ex-président.

 

Ceux qui ont lu les textes de La Presse, hier, ainsi que la version intégrale du jugement, sur mon blogue (1), seront d'accord: Daniel Andrews a vécu l'enfer, fin 2005 et début 2006, après avoir osé rejoindre la dissidence, dans ce syndicat.

Cet enfer, c'est la Sibérie sauce 301, qui guette les opposants au régime Lapierre-Parent. Tout, dans les affaires des bleus, rappelle le stalinisme.

LES PROCÈS TRUQUÉS Staline a éliminé ses anciens camarades bolcheviques à la faveur de procès publics. Le bras armé des purges staliniennes. Au «301», même technique avec les dissidents, comme Daniel Andrews. On les enregistre à leur insu. On diffuse ces enregistrements aux camarades, lors d'assemblées publiques. On dévoile des faits subversifs de leur vie privée passée, comme des infidélités, dans le cas d'Andrews, devant 150 «camarades». But: discréditer les dissidents.

LE PARTI, C'EST L'ÉTAT En URSS, le Parti communiste, c'était l'État. Et l'État, c'était le Parti. Les mêmes apparatchiks régnaient sur les deux entités. Idem au syndicat des cols bleus. L'Équipe Unité de Lapierre et (désormais) de Michel Parent, c'est le syndicat des cols bleus. Et le syndicat, c'est l'Équipe Unité. Citation de la juge Pauline Perron, de la CLP: le 301 «confond son rôle politique et son rôle d'employeur».

LE GOULAG Staline envoyait ses opposants, réels et imaginaires, dans des goulags. Le 301, lui, bannit les dissidents des assemblées générales. Ce qui les empêche de se présenter aux élections syndicales. Goulag virtuel, quoi.

LES PROCÈS TRUQUÉS, BIS Le 301 finance une poursuite en diffamation de Lapierre et Parent contre quatre dissidents, dont Andrews. Somme réclamée: un demi-million de roubles, euh, pardon de dollars! Qui paie les frais d'avocats des apparatchiks Lapierre et Parent? Le Syndicat. Les frais d'avocats des quatre «traîtres» sont-ils payés par le Syndicat? Niet.

LA PARANOÏA Staline était un paranoïaque fini. Tous les dictateurs le sont, et sans doute cela est-il justifié. Lapierre a commencé, dès 1989, à enregistrer subrepticement les conversations téléphoniques et conversations de bureau, au local syndical des cols bleus. J'ai révélé ces faits en 2006, au JdeM. Ma source principale, à l'époque: l'enquêteur privé embauché pour installer les micros.

LA MÉCANIQUE DU COMPLOT Chaque purge stalinienne était justifiée par de supposés complots contre le Parti, la Patrie, Staline lui-même. Chaque purge chez les cols bleus est justifiée par des complots contre l'Équipe Unité, le 301 ou Lapierre lui-même.

LA MÉCANIQUE DU COMPLOT, BIS Lapierre, en 1999, après avoir été condamné à une peine de prison pour avoir incité ses hommes à défoncer les portes de l'hôtel de ville six ans auparavant: «J'accuse la Couronne, les policiers et la Ville de Montréal de collusion politique.» But: «Bâillonner le mouvement ouvrier.»

LA DÉLATION Les apparatchiks du parti de Staline assuraient leur survie grâce à mille petites trahisons. Au 301, la délation est fort utile pour les dictateurs: Andrews, note la juge Perron, a été piégé par un autre directeur syndical, Jean-Pierre Moineau. Celui-ci l'a fait parler (en mal) des camarades Lapierre et Parent. Le piège: il était enregistré. Lapierre et les micros, c'est comme Ding et Dong: inséparables.

LA RHÉTORIQUE «BOLCHÉ-VISANTE» «T'es un laquais du patronat!» a délicatement beuglé Jean Lapierre à mon endroit, à TQS, en 2006, après ma série de papiers sur l'écoute électronique dans le JdeM. Le pauvre y voyait un complot du patronat contre le prolétaire éploré qu'il incarne bien sûr symboliquement. Le pire, chez les dictateurs qui voient des complots partout? Ils y croient.

LES SYMBOLES Facile: la statue de bronze de Lapierre devant l'édifice du 301. Staline aurait apprécié l'esthétique, le poing levé, ce regard stoïque vers les lendemains qui chantent, tout ça... Staline aurait sans doute demandé à Lapierre le numéro de téléphone du sculpteur.

LA GLASNOST La CLP va bientôt se pencher sur le cas d'une autre victime d'une purge du 301, Jean-Luc Pagé. On en saura sans doute encore un peu plus sur les méthodes dictatoriales du régime des camarades Lapierre et Parent. Une véritable commission-vérité, la CLP.

Intimidation à la CLP

Hier, faute d'espace, j'ai dû biffer un passage ahurissant de la décision de 15 pages de la juge Pauline Perron. Il s'agit du Point 84: la juge explique qu'elle a refusé à Jean Lapierre la permission d'être présent dans la salle d'audience. Il s'agissait d'une cause de harcèlement psychologique, écrit-elle, et des témoins avaient spécifiquement demandé à ne pas se retrouver en sa présence.

Or, note-t-elle, Lapierre a malgré tout «passé la semaine dans le corridor». Son avocat a insisté, malgré le refus «catégorique» du tribunal, pour que Lapierre soit présent dans la salle. L'avocat est néanmoins revenu à la charge le lendemain de sa décision. Nouveau refus.

Tout cela est «troublant», écrit la juge. Qui ajoute: «Il s'agissait, de l'avis du Tribunal, d'une tentative d'intimidation» de Jean Lapierre envers les témoins.

Pour joindre notre chroniqueur: patrick.lagace@lapresse.ca