Ainsi donc, le nageur Michael Phelps, multiple champion olympique, homme-requin, fume du pot. C'est le tabloïd britannique News of the World qui a révélé cette dangereuse déviance à l'humanité.

À la une du journal, dimanche: photo du roi de Pékin de côté, tétant un «bong», une pipe à eau géante. Dans le bong, de la mari.

Le titre: PHELPS GOES BONG.

Phelps, 23 ans, s'est excusé comme il se doit: en payant une armée de relationnistes hautement entraînés dans la gestion des crises médiatiques pour trouver les mots de contrition de circonstance.

Car, comme chacun le sait, la crise médiatique est la pire ennemie du héros moderne: elle menace ses contrats publicitaires.

Les excuses, donc, rapportées dans la dépêche d'AFP: «J'ai eu une conduite regrettable et j'ai fait une erreur de jugement. J'ai 23 ans, et en dépit de ma réussite dans les bassins, j'ai agi comme un jeune, d'une manière incorrecte. Ma conduite n'est pas celle que le public attend de moi. De cela, je suis désolé. Je le promets à mes fans et au public: cela n'arrivera plus.»

Speedo, qui commandite l'octuple médaillé d'or des JO de 2008, a rapidement affiché son appui «à Michael et à sa famille». Même chose pour Omega, le fabricant de montres, qui a rappelé à tout le monde qu'il s'agit là d'un «non-événement», puisque le nageur a consommé du pot en privé.

Le scandale, ce n'est pas que Phelps ait fumé du pot. C'est que ce soit encore un scandale de se faire «prendre» à fumer du pot. Que le pot soit encore l'objet d'une prohibition débile, risible, débranchée des moeurs de l'Occidental moyen.

J'ai un scoop pour le News of the World, que je lui soumets, comme ça, gratuitement. Tiens, je lui soumets même le titre: TOUT LE MONDE FUME DU POT.

Méchant scoop, je sais, vous tombez en bas de votre chaise. Mais c'est vrai. Tout le monde fume du pot. Michael Phelps, 23 ans, fume du pot. Big deal! Qui n'en fume pas? À part moi, je veux dire (pas de farces)?

Tout le monde fume du pot. Je ne dis pas que c'est une bonne chose, je dis que c'est répandu, c'est quasiment la normalité, c'en est banal.

Probablement que le gars qui a pris la photo de Phelps fume du pot. Et la fille qui a pondu l'article. Son boss, aussi. Le gars qui a écrit le titre? Ah, lui, c'est sûr qu'il en fume, et du bon, je gagerais que c'est le pusher du journal.

Et n'oublions pas le lecteur qui va acheter son News of the World...

Pourtant, partout en Occident, le pot est à peu près interdit. Amendes, prison, embarras public: la police veille au grain, les lois ont des dents, la Guerre à la drogue ne fait pas de quartiers. Et ces tabloïds qui guettent les stars qui se gèlent doucement...

Combien d'Américains arrêtés pour des infractions touchant le pot, en 2007? Plus de 800 000. La majorité, pour possession simple. Une folie.

«C'est cocasse que le plus grand médaillé olympique de l'histoire fume du pot. Ça détruit la thèse selon laquelle le pot mène à la déchéance!» rigole Jean-Sébastien Fallu, prof à l'École de psycho-éducation de l'Université de Montréal, qui milite pour une approche moins répressive et plus éducative face à la drogue.

Fallu, qui me sort cette statistique: 70% des jeunes Québécois dans la vingtaine fument du pot. Nous ne sommes plus dans la déviance. Nous sommes dans un mode de vie...

En 2005, Jeffrey A. Miron, prof à Harvard, a calculé que si l'État américain légalisait le pot, il économiserait sept milliards de dollars par année en frais de toutes sortes (flics, avocats, prisons). En le taxant comme l'alcool et la cigarette, il engrangerait (au bas mot) plus de six milliards de dollars annuellement (1).

De quoi financer 10 jours de guerre en Irak...

Parmi les 500 économistes qui ont appuyé le débat lancé par Miron: Milton Friedman, Prix Nobel d'économie (1976), leader de l'École de Chicago, pape des néolibéraux modernes. On est loin des clowns du Bloc pot.

Mais savez-vous où est le signe le plus patent de la tolérance, non, pardon, de l'acceptation du pot chez les masses stressées?

On le trouve dans la réponse «positive» des commanditaires de Phelps.

Ils savent que les acheteurs de costumes de bain fluo et de montres de luxe fument du pot, eux aussi. Ils savent que ces acheteurs voient ce «scandale» pour ce qu'il est: une autre singerie obligée de la War on Drugs.

(1) www.prohibitioncosts.org