Allez, avouez, la dernière fois que vous aviez utilisé le verbe proroger, avant cette crise, c'était quand? Hein?

Moi, jamais. C'est ce qu'il y a de bien avec cette crise à Ottawa: elle nous permet d'apprendre des choses.

 

Il y a ce verbe, proroger.

Mais il y a aussi tous ces pans fascinants de notre histoire constitutionnelle qu'on sort des boules à mites. Par exemple, l'ancien gouverneur général, Byng, Lord Byng. Eh bien, qui aurait pu dire, avant ces derniers jours mouvementés, que Lord Byng était l'époux de la célèbre Lady Byng, qui a donné son nom au trophée décerné annuellement au joueur le plus gentilhomme de la LNH? Hein?

Au fait, proroger, conjugué à l'imparfait du subjonctif, première personne du pluriel? Que nous prorogeassions. Sublime, vraiment. Mémoires de Michaëlle Jean (ghostwriter, Denise Bombardier), page 344, en 2017: «Le premier ministre demanda que nous prorogeassions la session séance tenante...»

Ce qu'il y a de bien, avec cette crise, c'est aussi qu'elle clarifie les choses. Prenez le Bloc québécois. Depuis quelques années, Gilles Duceppe a réussi un tour de force, au Québec. Il a réussi à évacuer de son discours (excluant les discours de soirée électorale, post-campagnes) le fait que le Bloc est souverainiste.

Même dans le ROC, M. Duceppe avait presque réussi à faire oublier qu'il veut faire deux pays avec le Canada. On le trouvait affable, plein de bon sens, politicien responsable.

Or, depuis la naissance de cette bizarre de bibitte politique, j'ai nommé la Coalition PLC-NPD (Bloc) dans le laboratoire des alchimistes anti-PC, le Bloc est brutalement décrit comme ce qu'il est: un parti souverainiste, qui veut briser le meilleur-pays-au-monde.

Ai-je dit souverainiste?

Pardon, je voulais dire, parce que c'est ce qu'ils disent ici, à Calgary, séparatiste (ils le disent comme on dit un mot un peu sale, aussi, remarquez, en mettant beaucoup d'emphase sur le «tiiiiiist» final).

Tiens, je vous présente Dave Rutherford, qui anime à CHQR AM 770 une tribune téléphonique sur l'actualité. Quand je suis passé le voir, hier, il était dans tous ses états, et je ne pense pas que ce soit de la frime (quoiqu'avec les grandes gueules de la radio, on ne sait jamais quand ils sont choqués pour de vrai).

Dave à Jim, un auditeur: «Donc, ça ne te dérange pas que les séparatistes soient au pouvoir?»

Jim: «Arrête, Dave. C'est de la propagande. On dit que le Bloc est au gouvernement pour brouiller les pistes, pour faire peur aux gens. Duceppe va se tenir tranquille, pour satisfaire les Canadiens, pour garder son job...»

Dave: «Gilles Duceppe se fiche bien de toi, Jim...»

Pendant une pause publicitaire, Dave m'a expliqué que cette histoire de coalition, c'est l'événement qui a le plus irrité ses auditeurs, depuis 20 ans, sur la scène politique. Plus gros que Charlottetown. Plus gros que Meech. Plus gros que le référendum de 1995.

«Les gens ont l'impression que la coalition va annuler leur vote du 14 octobre. Sans oublier que la coalition va être au lit avec les séparatistes! Résultat: cette coalition va agir selon les intérêts du Québec. Regarde Marois, qui veut revoir les paiements de péréquation...»

Au lit avec des séparatistes. Ça fait vraiment capoter les gens, ici. Sean Hartley, blogueur pro-PC, me confie: «Pourquoi est-ce que des gens qui veulent briser mon pays auraient leur mot à dire dans la conduite du gouvernement fédéral?»

Avec cette crise, le Québec revient au radar politique du coin du ROC où j'écris ce papier. Même s'il est faux de dire que le Bloc sera «au gouvernement» si la coalition finit par tenir debout, le Québec sera, avec cette crise, de nouveau vu comme le proverbial empêcheur de tourner en rond qu'il fut souvent, dans ce pays...

«Dans l'Ouest, le consensus, c'est que le Québec reçoit un traitement spécial, dans ce pays, me dit Nick Gafuik, nouveau papa, militant conservateur, employé du Preston Manning Center for Building Democracy et organisateur d'une manif anti-coalition, samedi, à Calgary. Or, nous sommes en faveur de l'autonomie des provinces. Mais nous sommes contre les traitements de faveur.»

Traitement de faveur? On commence à noter, au pays, que le préambule de l'accord fondant la coalition parle de ce gouvernement progressiste qui agirait en partenaire avec les Canadiens et... les Québécois. John Ivison, sur son blogue du National Post, hier soir, se demandait, sidéré: «Les Québécois ne sont pas des Canadiens?»

Sacré Gilles. Il réussit le tour de force de ne pas trop parler de souveraineté en période électorale, tout en faisant avaler à MM. Layton et Dion une distinction formelle entre Québécois et Canadiens. On apprend vraiment un tas de choses, grâce à cette crise.